Karel MICHLOVSKY

Regards sur le monde

par Jacques THIBERT

PLUS dur, plus athlétique, plus rythmé, plus engagé, le football moderne n'est cependant plus ce qu'il était, prétendent bien des anciens. Ces nostalgiques de la belle époque affirment — et comment pourrait-on les détromper ? — que le spectacle était plus riche de leur temps et que la recherche du geste originel, de la feinte, du « truc » décisif était plus aiguisée. Sans aller jusqu'à la fameuse « imperdable », l'épingle de sûreté que certains défenseurs plantaient dans les fesses des attaquants adverses pour les faire partir du mauvais côté, il est vrai que certains gestes se sont perdus. Par exemple, la rentrée de touche musclée qui projetait le ballon à quarante mètres devant la cage adverse, sur le pied ou la tête d'un partenaire.

UN dessin n'est pas nécessaire pour démontrer l'efficacité d'une rentrée de touche longue qui se double d'un autre avantage : l'absence de hors-jeu. A partir de la ligne médiane, en profondeur ou latéralement, elle devient une arme terrible pour ceux qui savent l'utiliser. Et elle ressemble, par son caractère exceptionnel, aux fabuleux coups francs de Pépé, aux corners brossés de Netzer ou aux reprises de la tête de Kocsis, Toshack et consorts.

LES BRAS DE FER

IL y eut, dans le passé, d'extraordineurs lanceurs du bord de touche. Parmi les meilleurs spécialistes, nous nous rappelons les noms de Karel Michlovsky (Angers, Saint-Etienne), Nyers (Stade Français) et Lavaud (Rennes). Ces trois joueurs propulsaient naturellement la balle de l'autre côté du terrain et provoquaient, à chaque lancer, un sacré remue-ménage dans l'équipe adverse.

PLUS encore que Nyers et Lavaud, Michlovsky était un phénomène du genre. Sans effort apparent, aidé par une sangle abdominale d'une exceptionnelle qualité musculaire, il « traversait » pratiquement le terrain dans sa largeur. Le public en gloussait d'aise à l'avance, jamais frustré de la réussite, il s'agissait presque d'une cérémonie.

Plus près de nous, l'international allemand du Hambourg S.V., Jurgen Werner, était un fameux dynamiteur, plaçant au point de penalty des balles vicieuses et violentes.

Aujourd'hui, les spécialistes sont rares. Mais il en existe encore quelques-uns, au Royaume-Uni et en Allemagne notamment.

ON parle beaucoup actuellement en R.F.A. d'un joueur de Deuxième Division, Uwe Reinders (Schwarz-Weiss Essen). Ce jeune homme de 21 ans, très athlétique (1 m 84, 80 kg) propulse sa balle, des deux mains, à cinquante mètres, c'est-à-dire de l'autre côté de la surface de réparation. « Un peu plus loin quand il y a du vent », précise-t-il.

Le buteur de l'équipe a marqué trois buts de la tête cette saison sur des touches longues de Reinders. L'entraîneur, subjugué, est en train de bâtir de savantes tactiques au tableau noir pour tenter d'utiliser encore mieux la force de l'intéressé.

Celui-ci ne sait pas d'où lui vient ce talent particulier. « Je ne me suis jamais entraîné pour l'acquérir, dit-il. J'ai découvert un jour que ça pouvait être très efficace. Il me suffit de bien me concentrer avant de lancer. »

On parle tellement de Reinders que Dortmund serait prêt à l'engager pour un transfert de 500.000 marks (100 millions A.F.)

TOUS les joueurs n'étant pas des Michlovsky, des Werner ou des Reinders, de bonnes âmes ont demandé à l'International Board de se pencher sur le problème des remises en touche et d'envisager la possibilité de les faire au pied. On connaît les Britanniques : ce n'est pas demain que la chose se fera.

Tant mieux ! Nous aurons encore l'occasion de voir à l'œuvre les bras de fer non brevetés. Ils font partie intégrante du football, et du spectacle.

Un bien bel article de Jacques Thibert paru dans le France Football du 29 mars 1977. Merci à Fanch Gaume pour me l'avoir refilé.