KOVACEVIC : LA DOUCEUR ANGEVINE LUI REUSSIT
Reportage Jacques TOUFFAIT
Photos Daniel GUYOT
Vladimir Kovacevic, le Yougoslave du S.C.O. d'Angers, rêve d'une couronne de meilleur buteur. Couronne convoitée également par un autre Yougoslave, Skoblar, de l'O.M. (Photo Roger Krieger)
Il y a un an, celui qui est depuis le début du Championnat l'un des plus brillants éléments de la « Légion étrangère » du football français, rêvait justement de son retour sur notre sol. Comme un quelconque mercenaire, après avoir obtenu l'accord de son club, Partizan de Belgrade, il vint proposer ses services à Angoulême d'abord, au S.C.O. ensuite. Peu lui importait qu'on le contraignit ici et là à démontrer d'abord sa valeur en participant à des matches dits d'essai. Lui qui avait été l'un des premiers footballeurs de son pays pendant les dix dernières années faisait taire sa fierté par simple amour de la France.
Finalement, le S.C.O. trouva fort à son goût Kovacevic. La réciproque était également vraie et c'est ainsi que le 21 décembre 1969, l'ancien intérieur de l'équipe nationale yougoslave reprit contact avec les matches de notre Championnat de France.
Les dirigeants angevins ne regrettent pas aujourd'hui de lui avoir fait entière confiance.
On lui donnerait 25 ans
Avec ses yeux bleus rieurs, son épaisse chevelure brune, sa silhouette fine et son perpétuel petit sourire au coin des lèvres, on lui donnerait vingt-cinq ans à peine. Et pourtant, Wladimir Kovacevic le buteur yougoslave du S.C.O. d'Angers aura trente ans le 7 janvier prochain.
Il y a plus de douze ans qu'il joue au football. Aux quatre coins de l'Europe, il a fait admirer sa technique parfaite, son intelligence de jeu, sa frappe de balle remarquable et ses qualités de buteur. Mais depuis un an qu'il est revenu en France, il se sent rajeunir.
« C'est vrai, dit-il posément, dans un français encore hésitant mais fort compréhensible, je me sens bien ici. Les Yougoslaves en France se sentent un peu chez eux. Ce doit être une question de tempérament. Regardez tous mes compatriotes qui opèrent dans des clubs français, ils sont aussi heureux que je puis l'être. Il n'y a aucun dépaysement prononcé. Pour ma part, je sais que j'aurais été très déçu de ne pouvoir tenter une nouvelle fois ma chance dans votre football. Mais, je suis comblé de le faire à Angers. » De même, Kovacevic avoue sans se faire prier qu'il coule en Anjou des jours sans nuage.
« Lorsque j'ai décidé l'année dernière de revenir en France, j'espérais jouer à Monaco parce que la Côte d'Azur est un pays merveilleux et que ma femme adore le soleil. Cela ne s'est pas fait et je n'en éprouve pas le plus petit regret. J'ai trouvé au contraire à Angers tout ce que je désirais. Le climat est très agréable, c'est exact. Mais surtout, il règne dans l'équipe une excellente ambiance. Je craignais un peu d'avoir quelques difficultés d'adaptation à mon retour. Il n'en a rien été parce que tout le monde s'est montré charmant envers moi. Les Français sont très ouverts et accueillants. Je l'avais déjà constaté à Nantes et je l'ai de nouveau ressenti à Angers. Et puis - et c'est là sans doute le plus important - l'équipe pratique un bon football. Nous jouons d'une manière offensive en songeant d'abord à marquer des buts plutôt qu'à n'en pas prendre. Cela correspond exactement à mon idée. J'ai toujours été un attaquant et comme tel, je suis naturellement attiré par le but adverse. Enfin, il y a aussi le fait que je joue ici à ma véritable place : celle de deuxième avant-centre. C'est incontestablement le poste où je m'exprime le plus complètement. »
Meilleur buteur
On l'a vu effectivement depuis le début du Championnat dont Kovacevic est l'un des meilleurs buteurs. S'il n'a pas la présence, la puissance physique de son compatriote et ami Josip Skoblar, il n'en est pas moins aussi dangereux dans la zone de vérité grâce à son coup d'oeil et son extrême vivacité.
« J'ai marqué un certain nombre de buts cette saison, dit-il d'une voix douce. Mais vous savez, je n'ai aucune ambition particulière sinon celle de rendre le plus de services possibles à mon club. Le titre de meilleur buteur ? Ce serait bien sûr une récompense pour moi, mais je n'y pense pas spécialement. D'abord, je crois qu'il y a plus fort que moi dans ce domaine en France. Mais ensuite, je suis tout autant satisfait quand je peux faire marquer un de mes partenaires. Le football est un sport collectif, n'est-ce pas ? »
Confortablement installé dans un appartement proche du centre d'Angers avec sa jeune femme qui possède ses diplômes d'architecte et comme lui, adore la France et sa fille, Sylvie, née il y a quatre ans à Nantes, « Vlada » comme l'appellent ses partenaires est devenu un parfait angevin d'adoption. Son contrat avec le S.C.O. n'expire qu'à la fin de la saison prochaine et d'ici là, il espère bien accomplir avec ses coéquipiers, quelques exploits susceptibles de tordre le cou à cette vieille tradition qui veut qu'Angers soit un « club tranquille sans difficulté grave mais sans ambition démesurée ». Rétrospectivement, cela lui permettrait de démontrer à ses amis du F.C. Nantes, qu'ils avaient eu tort il y a trois ans, de se séparer de lui.
L'échec nantais
Car, on s'en souvient, Kovacevic avait quitté notre pays en 67, sur un demi-échec qu'il n'a toujours pas oublié. Un an auparavant, en juillet 1966, Nantes, alors Champion de France pour la deuxième fois consécutive, l'avait engagé pour compenser le départ de son maître à jouer Ramon Muller et tenter de réussir une belle carrière en Coupe d'Europe. Malheureusement, tout n'avait pas marché aussi bien que prévu...
Durant l'automne 65, le tirage au sort avait opposé en Coupe d'Europe, Nantes à Partizan de Belgrade. Malgré un comportement des plus honorables, les Nantais n'avaient pu franchir cet obstacle yougoslave. Parmi les plus brillants du côté de Partizan avait figuré un certain Wladimir Kovacevic. Celui-ci avait été conquis lors du match retour à Nantes par la chaleur de l'accueil qu'on avait réservé à son équipe. Par l'intermédiaire de son compatriote basketteur à l'A.B.C. Nantes, Kalember, il avait même discuté aimablement de choses et d'autres comme on le fait lors des réceptions d'après match - avec les dirigeants nantais. Cette année-là, Partizan atteignit la finale de la Coupe d'Europe ne succombant en finale à Bruxelles que d'extrême justesse (1-2) devant un Real Madrid rajeuni et terriblement mordant.
« Nous avions une équipe de grande classe, rappelle Kovacevic. Avec les Soskic, Jusufi, Gallic, Vasovic, Mihailhovic, Becejac ou Hasanagic, nous étions de taille l'année suivante à faire aussi bien en Coupe d'Europe. Nous nous connaissions tous depuis longtemps et avions l'habitude de jouer ensemble. Or, après la finale de Bruxelles, il s'est produit avec nos dirigeants, une mésentente financière regrettable qui a eu pour conséquence de disloquer presque complètement l'équipe. Nous demandions pour résigner pour quatre nouvelles saisons, une prime que l'on nous a refusée. Moyennant quoi, plusieurs d'entre nous ont demandé à s'expatrier. C'est ainsi que j'ai pensé à Nantes dont j'avais gardé un bon souvenir. Je suis rentré en contact avec les dirigeants nantais grâce à mon ami basketteur. Entre temps, j'avais reçu des propositions d'un club suisse, Lugano mais je donnais la préférence à Nantes. »
Son premier match sous le maillot des « Canaris », il le fit à Genève contre le Servette en donnant entière satisfaction à tous. Le doute n'était pas permis : Nantes venait sans doute de réaliser une excellente opération et comme Kovacevic de son côté était ravi de venir jouer en France, tout semblait aller pour le mieux. Pourquoi, dans ces conditions, l'ancienne vedette de Partizan ne parvint-elle pas à s'imposer complètement, à s'intégrer totalement au jeu de ses nouveaux équipiers ? Kovacevic avait signé un contrat de quatre ans avec Nantes, mais après une saison il devait repartir en Yougoslavie pour y effectuer son service militaire. Or, s'il joua bien effectivement un an, Nantes ne chercha pas à le faire revenir lorsqu'il en eut terminé avec ses obligations militaires. Ce n'est donc pas trahir un secret que de dire qu'il n'apporta peut-être pas autant à Nantes que l'espéraient le président M. Clerfeuille et José Arribas. Certes - et l'entraîneur des ex-champions de France est le premier à le reconnaître - Kovacevic est un joueur dont on ne discute pas les qualités.
« Technicien de premier ordre doté d'un très bon tir des deux pieds, c'était à coup sûr un très beau footballeur, se souvient-il. Cependant, et bien qu'il nous ait été très utile à maintes reprises, bien qu'il fût un titulaire indiscutable, il ne s'est pas entièrement accomodé du rôle de milieu de terrain que nous lui avions confié. »
C'est en effet la raison pour laquelle, de son propre aveu, « Kova » ne réussit pas aussi bien qu'il l'aurait souhaité à Nantes. Ce poste d'homme de milieu n'était pas exactement le sien. Il lui était, c'est vrai, arrivé de l'occuper souvent à Partisan. Il n'empêche que sa place de prédilection, celle où il se sent le plus à l'aise est celle de deuxième avant-centre avec le numéro 10.
« J'ai joué au milieu à Nantes avec Coco Suaudeau, dit-il sur un ton où perce une certaine déception. Dans le travail à la fois offensif et défensif que j'étais obligé d'accomplir, je perdais fatalement de mon influx au moment de tirer au but. Nantes ne croyait pas que j'étais d'abord un buteur. Pourtant mon palmarès en Yougoslavie le prouvait. Au cours des cinq années précédentes, j'avais terminé deux fois à la deuxième place, une fois à la troisième et deux fois à la quatrième place des meilleurs réalisateurs de mon pays. Je crois que j'aurais été plus utile en attaque, j'aurais pu par exemple, prendre la place de Jacques Simon qui avait souvent manifesté le désir de descendre d'un cran pour occuper le milieu du terrain. Mais, je parlais assez mal français et je n'osais pas m'en ouvrir à José Arribas. Je pense que les Nantais ne m'ont pas jugé sur ma véritable valeur. C'est dommage... Enfin, j'ai quand même réussi de bons matches et nous avions fini deuxièmes du Championnat, ce qui n'était pas après tout une mauvaise performance. »
Nantes, c'est certain, a marqué une étape importante dans sa carrière. Il est d'ailleurs resté très attaché sentimentalement à cette ville. Sa petite fille y est née et il ne manque pas une occasion d'y retourner. Angers n'est jamais qu'à quatre-vingts kilomètres et ses amis du F.C.N., Bernard Blanchet ou Gaby de Michèle sont toujours ravis de le voir.
« Je suis en très bons termes avec tous mes anciens partenaires. Nantes, c'est exact, était une ville agréable où je me suis beaucoup plu. Tous les éléments y sont en tout cas réunis pour former un grand club : il y a un stade magnifique et un public. Je souhaite à mes amis nantais de redevenir un jour Champions de France. »
Il a tiré un trait sur cet épisode de son existence. Simplement, il ne lui déplaît pas trois ans après, dans un club voisin de démontrer son efficacité.
Il y a un mois, Partizan de Belgrade fêtait son vingt-cinquième anniversaire et avait invité à cette occasion tous ses anciens joueurs. Kovacevic retrouva ce jour-là Belgrade, quelques-uns de ses anciens partenaires de la grande époque et il reçut une magnifique plaquette commémorative. Nul mieux que lui ne la méritait car Partizan jusqu'en 66 fut le seul et unique club de sa carrière yougoslave.
Remarqué par un entraîneur de Partizan au cours d'un match scolaire, il entra au club à l'âge de 14 ans et gravit, rapidement tous les échelons. Neuf fois international juniors, il disputa à 17 ans son premier match avec l'équipe première.
« C'était contre Rieka, le club de Nauvovic qui joue actuellement à Rennes. Je m'en souviens avec précision moins parce qu'il s'agissait de mon premier match avec les pros qu'en raison de la présence dans notre équipe de deux des plus grands joueurs yougoslaves de tous les temps : Bobek et Zebec. J'étais très intimidé de figurer à leurs côtés. Nous avions gagné 2 1. »
De 1958 à 1966, il allait remporter quatre titres de Champion de Yougoslavie et porter 17 fois le maillot de son équipe nationale participant en 1962 à la Coupe du Monde du Chili où l'équipe yougoslave s'octroya une bonne quatrième place.
« Je dois tout au football, se plaît-il à répéter. Grâce à lui, je connais presque le monde entier, puisque l'Australie est le seul pays dans lequel je ne me sois pas rendu. Grâce à lui, j'ai rencontré des gens passionnants et mené une vie extraordinaire. Je suis décidé à le servir aussi longtemps que j'en aurai les moyens. »
Précisément, lorsqu'il regagnera son pays, Wladimir retournera à Partizan pour devenir entraîneur. Il s'occupera d'abord des équipes de jeunes et sera par la suite directeur sportif du club.
Mais pour l'heure, ce garçon doux et sensible qui se trans forme sur le terrain en un terrible dynamiteur de défenses ne pense qu'à aider le S.C.O. d'Angers. C'est sa manière à lui de montrer que la France est sa deuxième patrie.
Quinze ans de fidélité à Partizan ou un joli trophée.
Avec sa jeune femme et sa petite fille, Wladimir est le plus heureux des Angevins.
KOVACEVIC DIGEST
Né le 7 janvier 1941 a Ivanijca, ville de Serbie située a 200 kilomètres de Belgrade, 1,69 m, 68 kg.
Signe à 14 ans ?à Partizan de Belgrade.
Débute à 17 ans en professionnels, à Partizan où il reste jusqu'en 1966.
Transféré à Nantes en juillet 1966.
Retourne en Yougoslavie un an plus tard. Rejoue à Partizan jusqu'en 1969, date de son retour en France, à Angers.
9 fois international Junior.
17 sélections en équipe A.
Finaliste de la Coupe d'Europe en 1966.
2 fois champion de Yougoslavie en Juniors et 4 fois en Seniors.
Elu meilleur joueur de son pays en 1963 devant Samardjic, Belin et Skoblar.
MANQUE DE FORMATION
Kovacevic a eu l'occasion d'affronter souvent les plus grands joueurs mondiaux. Il voue d'ailleurs une vive admiration à ces « frères attaquants » Kopa, Puskas, Di Stefano, Sivori et bien évidemment Pelé. Sur le plan français, il apprécie tout particulièrement la finesse de Georges Lech, la technique du Nîmois Michel Mezy et le talent de ses anciens partenaires nantais, Bernard Blanchet et Henri Michel. Dans son propre club, il ne tarit pas d'éloges sur le compte de Jean-Marc Guillou.
- Je ne comprends pas pourquoi il n'intéresse pas les sélectionneurs, dit-il. Cest un joueur très complet aussi bon sur le plan défensif qu'en attaque. Il a vraiment la classe.
Comme la plupart de ses compatriotes opérant en France, Kovacevic estime que le football français est moins exigeant et dur qu'en Yougoslavie.
- Peut-être, cela vient-il du fait qu'on s'entraîne moins chez vous, à mon avis, que dans mon pays. Je sais que pour ma part, je bénéficie de plus de liberté de la part des défenseurs. Le marquage est moins strict et sévère. Techniquement, je pense qu'il existe aussi une différence. Les Français sont en général bons techniciens mais, sur les balles arrêtées. En pleine course, lorsque la balle va vite, les erreurs sont plus fréquentes. Cependant ce qui m'a surtout frappé c'est le manque de formation des jeunes dans les clubs. Dans chaque club de Yougoslavie, il y a une école de football très importante et un encadrement technique. Ainsi à Partizan, il y a deux entraîneurs pour l'équipe première, deux pour les juniors, un pour les cadets, un pour les minimes et un pour les amateurs, en plus d'un directeur sportif qui supervise. Cela permet aux clubs de former le maximum de joueurs. Je pense que c'est un gage de réussite pour un club professionnel.
L'HOMMAGE DE LEDUC
Lucien Leduc, l'entraîneur d'Angers n'a eu qu'à se féliciter de la venue dans son équipe de Kovacevic.
- L'an dernier lorsque nous evons voulu nous renforcer, il était en concurrrence avec un attaquant hollandais. Nous l'avons préféré et nous n'en sommes pas déçus su contraire. « Vlada » est un joueur complet : il sait organiser et aussi se trouver à la conclusion comme le prouve les buts qu'il a déjà marqués depuis le début de la saison. Cest un joueur opportuniste qui sait exploiter la moindre occasion. Au cours d'un match, il réussit toujours quelque chose de décisif. Il « sent » le jeu d'une manière étonnante. De plus, c'est un garçon qui possède un excellent esprit et qui n'a, je crois, que des amis dans l'équipe.
Kovacevic s'est facilement intégre dans la « bande à Leduc ».
Merci à France Football pour l'article et à johnny rep pour les scans.