La roche tarpéienne et le capitole

Le tirage au sort des huitièmes de finale, effectué par la main du chanteur Enrico Macias réserve un grandissime choc sous la forme d'un double Angers-Saint-Etienne. Car la nouvelle formule prévoit des matches aller-retour à chaque tour sauf pour les trente-deuxièmes de finale, les demi-finales et la finale.

Saint-Etienne, dont la supériorité en championnat commence à se dessiner (trois points d'avance sur Nantes à la fin mars) ne saute pas de joie à la pensée d'affronter une équipe qui l'a humiliée l'été précédent par 4 buts à 0. Curkovic notamment n'a jamais été aussi mal traité que par Berdoll qui a eu le culot de lui marquer... six buts en deux matches.

Les Stéphanois et Curkovic n'ont pas tort de se méfier. Le 30 mars, en nocturne — tous les matches se jouent le soir, dorénavant — le petit Angevin aux cheveux longs recommence sa sérénade, échappe à Piazza et ouvre le score à la 30e minute. Le gardien yougoslave de Saint-Etienne n'en croit pas ses yeux : « mais dites-moi que ce n'est pas vrai. On ne m'a jamais fait tout çà en une seule saison! » S'il y a du dépit dans la voix de Curkovic, il y a également une indiscutable admiration pour ce jeune attaquant vif comme la poudre et adroit comme un singe qu'est Berdoll.

Finalement, les Stéphanois sont battus 2-0 car Edwige a marqué à la 51e minute. « En s'aidant de la main, protestent les Stéphanois, et comme l'arbitre nous a également privés d'un but pour un hors-jeu qui n'existait pas, nous sommes frustrés d'un résultat nul et peut être de la qualification. »

Le héros de cette soirée angevine est le jeune gardien réserviste du S.C.O., Marc Weller, qui a fait des débuts impromptus en équipe professionnelle parce que Gouraud souffre des muscles abdominaux. Venu de Mutzig en début de saison, cet Alsacien de 22 ans a démontré une autorité, une audace et un sang-froid étonnants. Le capitaine angevin Bourdel n'en revient pas : « il nous commandait comme l'aurait fait un chevronné! »

Les Stéphanois, irrités par la tournure des événements, préparent le match-retour (qui a lieu quatre jours après, le 3 avril) comme une guerre de religion. « Nous réservons aux Angevins une soirée comme celle que connut le Bayern Munich » clament-ils à tous les vents. En 1969, en effet, les « Verts » ont réussi un exploit retentissant en Coupe d'Europe, écrasant Beckenbauer et ses camarades 3-0, alors qu'ils avaient été archi dominés et battus 2-0 à Munich. Personne n'a oublié cette performance de niveau européen.

A Saint-Etienne donc, devant une assistance de gala (26228 spectateurs pour 427000 F. de recette), l'A.S.S.E. prend le taureau par les cornes. Cela ne va pas sans bavures. On s'était promis beaucoup de choses au match-aller. On se les donne généreusement. Le grand homme de la soirée est Jean-Michel Larqué, ce prince du sang (football) qui renaît périodiquement. Il marque le deuxième but stéphanois, à la 32e minute, d'une sensationnelle reprise de volée comme lui seul en France sait les faire. Il provoque la faute du jeune Weller sur le troisième (49e), inscrit par Merchadier et il marque le quatrième en apothéose. Les Angevins n'ont pas pesé bien lourd devant la fureur sacrée des Stéphanois. Et Marc Weller s'est aperçu à ses dépens que la Roche Tarpéienne était tout près du Capitole.


Marc Weller, d'un seul coup devenu grand, ou de Mutzig à Angers en quelques mois.

Merci à l'Année du Football 1974 pour l'article et la photo. Merci à Fanch Gaume pour les scans.