ANGERS ET RENNES : UNE MEME AMBITION
Une enquête de Victor PERONI
L'Ouest grand fief de football s'il en est, ne possède plus cette saison qu'une seule équipe professionnelle en Division I, Nantes, car Rennes et Angers sont descendus en Division II.
Ce n'est pas la première fois qu'une pareille mésaventure arrive aux Rennais et aux Angevins, mais c'est la première fois qu'ils « sombrent » ensemble. D'autre part Rennes se trouvait en Division I — après un an passé en Division II — depuis 1958 c'est-à-dire pratiquement depuis dix-huit ans. On conçoit donc que le fait que les Rennais soient de nouveau obligés de jouer en division inférieure apparaisse comme une sorte d'événement.
Quant à l'équipe d'Angers qui, elle, avait accédé pour la toute première jois de sa carrière à la Division 1 en 1956 — en même temps que Rennes qui avait une fois encore perdu sa place en Division I la saison précédente — elle avait chuté en 1968 qui fut une saison terrible pour te football français puisque cette saison-là vit la descente en compagnie du S.C.O. et d'Aix, de Lille et de Lens. Excusez du peu !
Mais Angers descendu pour un but — à peu près comme la saison dernière - conserva les joueurs qui avaient fait sa force — Deloffre, Dogliani, Poli, Dubaele, Bourdel, Gallina entre autres alors que Guillou jouait en réserve ! — et remonta quelques mois plus tard avec élégance réussissant à marquer dans l'année 128 buts pour n'en concéder que 45 ce qui est un score « d'avant guerre ». A la vérité la descente du S.C.O. en Division II était un accident, une péripétie et la tenue de l'équipe après la remontée allait bien le confirmer puisque le S.C.O. — dont les moyens ne sont pas ceux de l'O.M., ni ceux de Lyon ou de Nice — put se qualifier pour une Coupe européenne. Angers, grâce aux excellents joueurs qui animèrent son équipe, avait su se créer une magnifique image de marque. C'est pour cela que sa nouvelle chute en Division II est très importante surtout lorsque cette chute est accompagnée par celle de Rennes.
Inutile donc de souligner qu'Angevins et Rennais ne tiennent à rester en Division II que l'espace d'une saison. Et c'est pour en savoir plus que nous leur avons rendu visite.
Angers : Question de vie ou de mort !
A Angers tout le monde est bien d'accord : les dirigeants, le directeur sportif Robert Lacoste « l'homme de la rue » : si le S.C.O. ne remonte pas à la fin de la saison, c'en sera terminé du football professionnel à Angers, une ville où pendant trop longtemps une équipe qui a réussi monts et merveille n'a jamais provoqué d'irrésistibles mouvements de foule.
L'équipe dont Poli-Guillou formaient le milieu de terrain qu'enviaient tous les stades de France, jouait le plus souvent devant une moyenne de 6.000 spectateurs car Angers, ville par ailleurs pleine de charme, est une cité froide qui paraît hésiter à se ommettre par trop avec le football professionnel et peut-être même le football tout court. Pour prêcher le football à Angers, ville grand bourgeoise et relativement fermée, il faut avoir la foi !
Cette foi, la municipalité d'Angers la possède, qui aide puissamment le S.C.O. et lui a même un moment évité « d'arrêter les frais » car l'excellent docteur Kerjean qui se trouvait alors être le président du club avait jugé que l'équipe jouait « au-dessus de ses moyens financiers » et qu'il était peut-être temps d'y mettre un terme puisqu'aussi bien les recettes étaient loin d'être comparables à celles que pouvaient réaliser les autres grands. Donc en dépit d'une gestion stricte, Angers a toujours fait de la corde raide. C'est bien pour cela que cette saison, n'ayons pas peur des mots, c'est pour le S.C.O. une question de vie ou de mort.
En effet, comme lors de sa dernière chute, le S.C.O. a conservé ses joueurs, sauf évidemment Jean-Marc Guillou son grand meneur de jeu qui serait d'ailleurs resté à Angers si le S.C.O. avait conservé sa place en Division I. Il va sans dire que le départ de Guillou a laissé un très grand vide, vide peu en rapport avec les 24 millions de centimes qu'a rapporté son départ du club. L'équipe s'est également séparé — mais cela d'une façon toute normale — de ses joueurs les plus âgés comme Bourdel (37 ans bientôt) et Antic. Mais le budget est resté un budget d'équipe de Division I — un budget moyen mais quand même de 500 millions de centimes. C'est que le S.C.O. compte toujours sous contrat 13 professionnels, 9 stagiaires et quatre « grands amateurs » capables d'évoluer dans l'équipe professionnelle.
Sportivement et financièrement le S.C.O. est donc — et de loin — le club le mieux armé de son groupe.
« C'est bien pour cela, dit le directeur sportif Robert Lacoste qui vient d'entamer sa onzième saison au S.C.O. que pour nous la remontée immédiate est quelque chose d'impératif. Car ces temps derniers nous avons joué devant des moyennes de 6.000 spectateurs alors qu'il nous en faudrait 13.000 — avec ce chiffre nous serions heureux même — et que si nous devons végéter cette saison ou manquer notre but, nous descendrons à moins de six mille. Ensuite ce sera la catastrophe financière et sportive et la municipalité se lassera peut-être. »
Robert Lacoste qui a successivement entraîné Angoulême, Troyes, Grenoble, Rouen, Metz et Audun-le-Tiche d'où il a ramené Albert Poli avant de devenir directeur sportif du S.C.O., a une certaine habitude des choses du football : il y a 30 ans qu'il voit jouer les pros et outre Poli il a aussi découvert, entre autres, Glovacki — qui fut un temps le grand complice de Kopa — François Heutte, Nagy et Edwige. Il pense que tous les éléments sont quand même réunis pour qu'Angers retrouve sa place parmi les grands, mais il préfère rester prudent. Il évite d'annoncer la couleur en disant : « Nous remonterons il n'y a pas de problème ». Il préfère dire « Il nous faut remonter à tout prix ». Ce qui n'est finalement pas tout à fait la même chose.
« DANS NOS PETITS SOULIERS »
Le président Jean Keller qui l'an dernier a succédé au docteur Kerjean à la tête du club et qui est un industriel haut en couleurs, carré et souvent chaleureux, est assez de l'avis de son directeur sportif :
« Pour l'instant, dit-il, nous sommes un peu dans nos petits souliers. Je ne suis pas inquiet, mais j'attends avant de juger. Je suis circonspect. La Division II actuelle n'est plus celle qu'a connue l'équipe de 1968. Elle est beaucoup plus dure. J'espère que nous nous en sortirons car si le malheur voulait que nous rations la remontée, nous serions alors obligés de nous séparer de la moitié de nos joueurs professionnels. Je ne sais même pas si la municipalité pourrait continuer à nous aider. Nous devrions peut-être alors abandonner le statut professionnel. Car actuellement nous avons évidemment les mêmes frais que la saison dernière, mais les rentrées sont loin d'être les mêmes. Non seulement on nous attend sur certains terrains comme au coin d'un bois, mais encore sur le plan financier nous n'en ramenons que des « misères », juste le minimum exigé parfois. Donc il faut au plus tôt, sortir de cette situation et retrouver à la fin de la saison, notre place en Division I. C'est indispensable. »
Que pense de tout cela l'entraîneur, l'ancien défenseur d'Ajax, Vasovic qui fut 33 fois international yougoslave avec, notamment, Pantelic et Skoblar ?
« UNE EQUIPE POUR CINQ ANS »
« Je sais, dit-il, que si nous ne remontons pas, c'est sur moi que tout retombera. Mais j'en prends le risque. C'est normal, lorsqu'on est entraîneur, de s'attendre à endosser toutes les responsabilités. Mais je travaille pour le football. La saison dernière j'ai pris l'équipe en marche alors qu'elle avait douze points, cette histoire du « bonus » spécifique à la France m'a un peu dérouté. Cette année, je demande qu'on me fasse confiance. J'ai un contrat d'un an et je voudrais, en partant, laisser une équipe ayant retrouvé sa place en Division I et une équipe qui sera bonne pour cinq ans ».
Vasovic qui fut un joueur heureux — une fois champion avec l'Etoile Rouge de Belgrade, deux fois avec Partizan, deux finales de Coupe d'Europe avec Partizan et Ajax — espère bien réussir son plan.
« Si, comme entraîneur, j'ai seulement la moitié de réussite de celle que j'ai connue comme joueur, dit-il, je m'estimerai satisfait ». Pourtant il ajoute et c'est là sans doute le défaut de la cuirasse :
« Mais tout le monde a peur ».
LE DISCIPLE DE GUILLOU
Et c'est vrai, tout le monde a peur précisément parce que tout le monde craint que si Angers ne réussit pas, ce soit la fin. Alors on joue la peur au ventre, souvent pour ne pas perdre au lieu de jouer carrément pour gagner. Et c'est là que l'absence d'un footballeur serein comme Guillou, se remarque le plus. Car Angers qui n'a jamais été l'adepte du « hurrah football » se trouve maintenant aux prises le plus souvent avec un football de combat, un football à l'emporte-pièces, plein de pièges pour ceux qui ont d'autres habitudes. Il faudrait le plus souvent que le S.C.O. restant fidèle à son football, fasse courir la balle et l'adversaire. Mais parfois les Angevins sont pris dans le tourbillon du football d'empoigne et c'est là qu'ils sont alors le plus vulnérables, qu'ils risquent le plus de compromettre leurs chances de remontée.
Et Alphonse Le Gall l'ancien joueur qui fait partie du comité directeur et en tant qu'ex-pro, demeure le plus près des joueurs, n'est pas le dernier à souhaiter que le S.C.O. puisse remonter mais en gars du bâtiment, il sait parfaitement que la route sera rude et pleine d'embûches.
Donc à Angers ce n'est pas l'euphorie, mais l'espoir demeure néanmoins et autant qu'on en puisse juger il est assez bien accroché. Un homme comme Michel Cassan — un peu le disciple de Jean-Marc Guillou — résume l'opinion de tous en disant :
« Si nous nous appliquons à garder toujours notre jeu, il n'y a pas de raison de rater notre affaire. »
En effet. Et on compte aussi beaucoup sur Berdoll et son punch pour réussir cette affaire !
Robert Lacoste (S.C.O.) : un directeur sportif prudent.
Vasovic, l'entraîneur : il veut former une équipe pour cinq ans.
Merci à Football Magazine (octobre 75) pour l'article et à Rodighiero pour les scans.