DE MULHOUSE
Guillou : « Nous sommes loin d'être condamnés »
(Robert VERGNE)
MULHOUSE. — Un président aimable, ça arrive, mais son mérite est d'autant plus grand que son équipe est mal placée. André Goerig ne se départit cependant pas de sa bonne humeur, voire de son optimisme. Tout le mérite lui en revient, il faut bien le reconnaître.
« Dire que tout baigne dans l'huile à Mulhouse serait évidemment très exagéré et même inconscient. Mais, d'autre part, nous sommes plusieurs équipes que taraude l'idée de la descente en Division II et, d'autre part, ce n'est pas en jetant le manche après la cognée qu'on s'en sortira mieux. Au contraire. »
« Peut-on vous demander si vous êtes toujours à fond derrière votre entraîneur...
— Evidemment. Je dirai même, quoi qu'il arrive. Je ne suis pas de la race des girouettes. Jean-Marc est un homme extraordinaire et ce n'est pas la fragilité des résultats qui me fera changer d'avis. Je ne me suis jamais mêlé de son travail, même si peu que ce soit, y compris lorsque ça ne va pas très bien.
— Comme après le match à Lyon, par exemple...
— Vous savez, un but de plus ou de moins, quand ça part mal, il est bien rare que ça arrive bien.
— Et après la rencontre « aquatique » contre Bordeaux ?
— Vous avez vu vous-même : de telles conditions de jeu ne peuvent être porteuses d'un football réfléchi, voire sérieux. L'aurions-nous emporté dans une situation normale ? Ou, au contraire, la valeur technique des internationaux bordelais aurait-elle pu nous enfoncer davantage encore au classement ? C'est une question qui n'aura jamais de réponse. Je préfère m'en tenir aux faits et retenir de cette parodie de football l'énergie démontrée par nos gars. Avec de telles qualités morales, tous terrains, si je peux dire, on ne peut se permettre de désespérer. »
Jean-Marc Guillou n'avait pas voulu participer à la conversation d'avant match. Il était préoccupé, donc grognon. On le serait à moins dans la situation actuelle de son équipe, le contraire relevant de l'inconscience, et Jean-Marc est tout le contraire d'un inconscient.
Dire que le match nul l'avait plongé dans l'euphorie serait contraire à la vérité, dès lors qu'il venait de prendre connaissance des autres résultats et du classement général qui en résultait. Mais avoir participé à cette demi-victoire face aux Européens bordelais le laissait plutôt satisfait :
« Tenir une équipe comme Bordeaux en échec après avoir été menés deux fois à la marque est évidemment un test très encourageant, même si le contexte général nous est toujours plutôt défavorable. Mais il faut prendre les choses comme elles viennent, et ce match contre Bordeaux me semble comporter davantage d'éléments positifs que négatifs.— Les conditions de jeu extrêmement difficiles qui sont censées favoriser les meilleurs techniciens n'ont cependant pas permis à Bordeaux de l'emporter. Est-ce pour vous un motif de satisfaction ?
— Nous avons mené à la marque mais nous avons également été menés. Et comme les conditions déplorables de jeu étaient évidemment identiques pour tous, j'en déduis que nos gars ont démontré de grandes ressources morales qu'on ne peut leur contester et qui me donnent de l'espoir pour l'avenir. Ah ! si seulement il pouvait en être de même à l'extérieur...
— Vous êtes la seule équipe à ne pas avoir encore obtenu le moindre point sur terrain adverse.
— Hélas, oui, je suis le premier à le savoir et à le déplorer. Vous savez que je n'aime pas invoquer les notions de chance ou de malchance mais, tout de même, depuis le début de saison, nous avons subi un coefficient de non-réussite que je n'ai jamais connu depuis que je joue au football et pas seulement à l'extérieur. Tenez, contre Bordeaux, le but refusé pour hors-jeu à Assad l'était peut-être. Mais je constate que Bordeaux a bénéficié, en l'occurrence, d'un arbitrage que je qualifierai d'énergique, alors que nous n'avons jamais connu une situation semblable lorsque nous nous trouvons nous-mêmes sur terrain adverse.
— Avez-vous néanmoins des motifs d'espérer encore ?
— Heureusement, car je me demande ce que je ferais là. J'espère d'abord en nous-mêmes, en nos possibilités qui sont restées, hélas, trop longtemps dans le domaine des virtualités. Prenez par exemple le cas d'Ibanez. Voilà un garçon très doué et qui l'a prouvé en marquant trois buts face à l'une des meilleures équipes françaises. J'espère que cet exploit sera de nature à lui conférer la confiance qui lui manque encore et sans laquelle aucun joueur ne peut s'exprimer. Mais il y a également les autres, nos adversaires, et même s'il faut compter essentiellement sur cela, je suis certain que d'autres équipes éprouvent également de sérieuses difficultés.
— Etes-vous toujours en but à certaines critiques par rapport à votre système de jeu prétendu trop libéral ?
— On ne peut empêcher les gens de penser ni de parler, on vit dans un pays libre, heureusement d'ailleurs. Je regrette seulement qu'on confonde trop souvent les principes et les circonstances, le comment et le pourquoi. Mais tout ceci n'est pas très grave dès lors qu'on s'est tracé une route et qu'on s'y tient quels que soient les incidents de parcours.
— C'est presque un constat de Normand que vous établissez. Mi-figue, mi-raisin...
— Nous sommes certes engagés sur un chemin difficile, peut-être, mais nous sommes loin d'être condamnés, c'est sûr... »
Water foot et score de rugby
MULHOUSE. — Nous, on veut bien. Si frapper dans un ballon qui s'arrête net dans une flaque d'eau permet la pratique de ce sport, cela ne peut en aucun cas s'appeler football, ou alors les mots n'ont plus de sens.
Il ne s'agit pas en l'occurrence d'une vaine querelle sémantique mais la constatation d'une évidence : ce match Mulhouse-Bordeaux n'aurait jamais dû se dérouler dans des conditions atmosphériques aussi inacceptables.
Encore heureux qu'aucune équipe n'ait perdu, surtout les Mulhousiens qui se battent et se débattent dans une situation délicate en queue du tableau, alors que les Bordelais qui, certes, visent le titre de champion de France pourront toujours se consoler avec une place de dauphin des Nantais, génératrice de Coupe Européenne.
Il est vrai que ce qu'il faut appeler une partie de water-football ne pouvait logiquement que déboucher sur un score de rugby : cinq buts à la mi-temps, huit au total dont trois dans les dernières minutes de chaque période eurent certes le don de faire passer le public alsacien de l'abattement à l'enthousiasme.
En fait de douche froide, le public non abrité en avait connu depuis le coup d'envoi. Surtout lorsque Lacombe eut ouvert le score. Mais grâce à une double (puis triple) réplique d'Ibanez, il eut l'occasion de se rechauffer le cœur à défaut du corps. Car, entre-temps, Giresse, Lacombe une seconde fois et Müller avaient fait plonger (c'était le jour) les supporters des Mulhousiens dans le désespoir. Happy end, ce qui est un moindre mal. Difficile de se prononcer sur les réelles possibilités actuelles des uns et des autres. Certes, les deux équipes peuvent se prévaloir de solides qualités morales pour avoir pu redresser chacune une situation défavorable.
Le fait d'avoir réussi quatre buts relativement annulé par celui d'en avoir encaissé autant. Mais comme disait Jean-Marc Guillou, il est préférable de réussir un match nul sanctionné par le score de 4 à 4 plutôt que 0 à 0.
Si l'on peut dire que Bordeaux est riche et bien portant, Mulhouse demeure de santé fragile à défaut d'être pauvre. Il reste que si Aimé Jacquet voit la première place s'estomper, Jean-Marc Guillou est toujours gêné par la lanterne rouge. C'est une couleur qui ne lui déplaît pas, certes, mais dans d'autres conditions que celles du Championnat.
R. V.
Merci à France Football (1er février 1983) pour l'article et à Marc M. pour le scan.