PLUTOT INTER A St-MALO QU'AILIER A ANGERS

A vingt-trois ans, Marcel Loncle a volonlairemenl abandonné le football professionnel. Lui, le titulaire indiscuté du S.C.O. Angers. Lui, le sociétaire à part entière de l'Equipe de France Amateur. Lui, le stagiaire dont le talent avait forcé les portes de l'Equipe de France Militaire, celles des « Espoirs ». Lui, dont il fut question à maintes reprises pour l'Equipe de France — tout court. Lui, si richement doué, à l'âge de l'ambition, à l'orée de la consécration suprême ; en un mot, lui, l'avenir, brusquement, sans crier « gare », dit « adieu » à la gloire, renonce au rêve de tous les jeunes footballeurs, se relègue en Division d'honneur. Somme toute, une vedette choisissant l'anonymat !

Par quel mystère expliquer cet étrange renoncement ? C'est à la source même que nous sommes aller enquêter. C'est Marcel Loncle lui-même que nous avons interrogé.

Grand, mince, les cheveux d'un blond foncé assez chaud, aplatis d'une façon telle qu'ils évoquent irrésistiblement une toque ; le visage long, un peu austère, au menton un peu trop allongé ; le nez camus, très digne ; le sourire facile, très agréable ; le regard doux, accueillant, où brille cependant une lueur d'ironie amusée qui paraît contenue. Le débit très rapide, quelque peu zozotant.

Dans l'ensemble, une impression de grande douceur, d'extrême gentillesse n'excluant pas la fermeté. Sous des dehors de décontraction, une nervosité de pur-sang. L'indice d'un être équilibré, intéressant, qui s'est prêté de bonne grâce à l'interview que voici :

Marcel Loncle, pourquoi avez-vous abandonné le football professionnel ?

D'un point de vue social, je veux assurer mon avenir. Je suis appelé à prendre la succession de mon père qui dirige un atelier de construction métallique. Certes, j'aurais pu reculer ce moment — mon père voulait que je continue cette saison encore au S.C.O. — mais d'un point de vue strictement football, je dois avouer que l'an dernier, j'ai été écœuré. Je jouais dégoûté. Je ne m'amusais plus. J'accomplissais une corvée. Aussi n'ai-je pas hésité à partir.

Pourquoi cet écœurement ?

Comme je viens de vous le dire, parce que je ne m'amusais plus. Pour moi, on doit prendre plaisir à jouer au football. Voyez-vous, j'ai une conception du jeu bien arrêtée : conserver le ballon, le faire courir ; éviter au maximum des risques de pertes en usant du retrait. Je suis pour la construction à 100 %, pour un football de démarquage où l'on progresse à 2 ou 3. Ainsi, me semble-t-il, peut-on créer ce fameux « trou ». Comment imager ma pensée ? Tenez, si vous préférez, je verrais très bien appliqué au football le principe du basket : si une attaque bute dans les 18 mètres sur une défense hermétique, on revient en arrière, on repart à zéro. En fait, je suis pour le jeu des Rémois. A les voir, tout le monde ne paraît-il pas content ? Aussi bien acteurs que spectateurs ?

Certes ! Mais ceci ne nous explique pas encore les raisons objectives de votre écœurement à angers ? Quelles sont-elles ?

J'y arrive.

A Angers, j'ai passé trois saisons ; toutes les trois à l'aile gauche.

La première année, en 1956-57, je jouais en pointe : jeune amateur de 19 ans et demi, sortant de St-Malo, je tenais avant toute chose à m'imposer. Pensez donc, je jouais en « pro » ! J'étais tout feu, tout flamme, décidé à « gagner » ma place. J'allais un peu comme « un chien fou » sur toutes les balles. Je n'hésite pas à le dire, cela touchait parfois à de l'inconscience. Je courais, centrais ou shootais, me dépensant à me détruire, terminant mes matches éreinté. Ah ! ma cote était grande auprès des spectateurs. Mon nom fut même chuchoté pour l'Equipe de France.

Cependant, dès la fin de cette saison, je sentis nettement que je voulais autre chose : devenu titulaire, ayant pris confiance en moi, je commençais à vouloir construire, à donner le ballon et non plus à courir toujours derrière lui. Mais si je souriais de plaisir à mes essais, je voyais des grimaces s'esquisser chez mes dirigeants, dans le public.

Vint ma deuxième année, 1957-58 ; j'opérais comme ailier en retrait. Je me suis régalé ! J'avais souvent le ballon, je construisais, j'organisais ; je participais enfin au jeu collectif ; mon rôle devenait important. Cependant, bien qu'ayant réussi dans cette position repliée autant de buts que la saison précédente : 7, autant je plaisais, autant je déplus. « Tu rends moins de services à jouer ainsi », me disait-on. Je reste persuadé que non. D'ailleurs, les faits l'ont prouvé.

Nous arrivons à ma troisième et dernière année : 1958-59. Je redevins ailier en pointe. Ce qui ne m'enthousiasmait pas. Et qui plus est, dans des conditions particulières : notre équipe pratiquant le 4-2-4, ce fut mon demi-gauche qui glissa comme quatrième arrière, mon inter gauche qui recula en demi. De par cette tactique, je me trouvais plus ou moins sacrifié. Si je venais en retrait, on estimait que je n'étais plus dangereux. Aussi, je me voyais contraint de me tenir à proximité de mon arrière, isolé, dans l'attente des longues balles « dans le trou » de 30 à 40 mètres. Si vous saviez comme j'ai horreur de ces balles longues en avant ! L'arrière, la plupart du temps, a l'avantage. Il lui est si facile en outre de jouer l'obstruction, de vous empêcher de passer par tous les moyens. De plus, j'avais rarement le ballon : lors d'un match, je touchai ma première balle à la 28e minute !... Peu sollicité, je pouvais difficilement rattraper mes erreurs. Le trac, la hantise de mal faire me paralysaient. D'autre part, j'étais poussé à vouloir briller, à faire des coups d'éclat pour sortir de l'anonymat. En un mot, j'avais l'impression de déjouer, la certitude de jouer contre mon tempérament.

Bien entendu, je me suis lassé et usé bien vite à « bourrer » exclusivement. Des cris hostiles s'élevèrent. « Fainéant », « travaille donc ! », me lançait-on des tribunes. Au début, je m'en irritais ; j'essayais d'expliquer. Puis, à la fin, je jouais délibérément dégoûté, laissant dire et faire...

Promettez-moi de répondre franchement à cette question insidieuse. Si vous aviez pu jouer à Reims, auriez-vous quitté le football pro à 22 ans et demi ?

Quelques instants d'hésitation, puis :

« Non, je ne crois pas. J'aurais certainement retardé de quelques années le moment d'aider mon père. »

Ainsi est-il exact de dire que vous avez laissé le football pro par amour du beau football ?

C'est exact.

Cependant, je tiens à souligner un point : le système des 20 clubs avec les 4 descentes automatiques me paraît être un frein puissant à l'évolution du beau jeu. La crainte de « l'enfer » amène la plupart des équipes à jouer, non plus pour gagner, mais pour ne pas perdre. Dans ces conditions, il faut avouer que la tâche des entraîneurs est ingrate : il ne s'agit plus de plaire mais de vaincre ou de n'être pas vaincu. Le minimum de risque est pris. Le dégagement prend le pas sur la passe, l'éloignement du danger sur la construction systématique.

Mais ne pensez-vous pas que le beau football soit efficace ?

Je me suis souvent posé cette question. En définitive, je crois que si. L'exemple de Reims, confirme qu'un spectacle de qualité peut être « payant ».

D'ailleurs, à Angers, lorsqu'il nous arrivait de mener par 2 buts à 0, instinctivement, nous jouions au « petit ballon ». Or, c'est toujours dans ces cas là que nous arrivions à nous créer le plus d'occasions de but ; tout en nous amusant le plus...

Seulement, je crois que Reims est la seule équipe en France qui ait fait du jeu en passes courtes la base de son système de jeu. Cette tradition, solidement ancrée, lui permet, par tout temps, tout terrain, contre tout adversaire, de jouer pareillement. Même lorsqu'elle est menée à la marque.

Selon vous, tous les footballeurs pourraient-ils jouer à la rémoise ?

Oui. Certes, je reconnais que Reims compte beaucoup de joueurs d'élite. Mais il me semble personnellement que sa bonne conception du jeu permet aux joueurs de s'épanouir complètement. Je reste persuadé que des jeunes, éduqués très tôt dans les principes rémois, arriveraient très vite à jouer pareillement ; car il est aussi facile d'apprendre ainsi.

Marcel Loncle, quel est votre conception du rôle de l'ailier ?

Vous m'excuserez de juger en fonction du plaisir que j'ai pris à jouer à l'aile. Pour moi, l'ailier et l'inter doivent faire un, permuter, se dédoubler, user systématiquement du une-deux. Je ne connais pas d'ailier en pointe qui ne se plaigne pas. Aussi me paraît-il indispensable que ce joueur soit aussi un joueur en mouvement ; ce qui exclut la position statique à la limite du hors jeu. L'ailier doit participer à la construction. Le retrait est une excellente base de départ qui n'empêche nullement l'efficacité. J'affectionne tout particulièrement, à la suite d'un débordement, le centre en retrait qui prend obligatoirement à contre-pied les défenseurs adverses.

Imageons : à mes débuts, à St-Malo, à 18 ans, nous formions avec mon ami Lambert — actuellement au Mans — une aile gauche dont on aurait eu du mal à dire qui était l'ailier, qui était l'inter. De même en Equipe de France Amateur, avec Mouchel, un des plus beaux footballeurs que je connaisse.

Essayez-vous d'introduire à St-Malo, ou vous jouez inter, les principes qui sont les votres ?

J'essaye. En plein accord avec mon entraîneur, sur le terrain je demande à mes coéquipiers de jouer en passes courtes. Notre gardien commence à dégager à la main. Nos arrières construisent. Devant, nous progressons en conservant au maximum le ballon. Nous nous sommes déjà taillé une solide réputation d'équipe pratiquant un excellent football.

Il est vrai que nous ne marquons pas un grand nombre de buts. Mais c'est une épreuve de longue haleine. Et je suis sûr — je le répète — qu'à la longue, « ça sera payant ».

D'ailleurs, mes partenaires sont très contents de jouer ainsi : ils y prennent du plaisir. N'est-ce pas essentiel ?

Quelles sont les réactions du public sur l'équipe ? Sur vous ?

Sur l'équipe ? Il applaudit aux beaux mouvements, mais gare à la passe courte interceptée, surtout celle du gardien.

Quant à moi, beaucoup d'amis m'avouent être un peu déçus par mes prestations. De fait, jouant le plus collectivement possible, je suis assez impersonnel : je recherche le démarquage permanent, l'utilisation la plus rapide de la balle. De cette sorte, il est certain que je ne ressors pas par d'éblouissantes actions individuelles : je ne cherche pas à briller. Or, l'on s'attend à me voir dribbler 3 ou 4 adversaires, marquer des buts en pagaille. Je ne veux pas de cette pratique : j'aime autant faire marquer que marquer. Voilà pourquoi je déçois...

Bien que parfois le découragement me gagne, je crois être dans la bonne voie. Cette voie qui me fait préférer être inter à St-Malo qu'ailier à Angers...

N'en doutez pas, Marcel Loncle, vous êtes dans la bonne voie. Vous trouverez toujours dans le « Miroir du Football » un allié solide qui tient déjà à vous remercier d'avoir réconcilié le footballeur avec sa dignité d'homme et ramené le football à ce qu'il doit être : un plaisir.

P. K.


« Au Petit Breton »... Cette enseigne d'un magasin d'Angers semble tout un programme pour Marcel Loncle, Breton bon teint, qui a préféré revenir dans sa bonne ville de Saint-Malo parce que le football professionnel l'avait déçu à Angers.


Loncle (à dr.) lorsqu'il était ailier gauche dans l'équipe du S.C.O. Ses coéquipiers étaient (deb., de g. à dr.) Fragassi, Pasquini, Hnatow, Bourrigault, Sbroglia, Kowalski. Accr., (de g. à dr.), Le Gall, Rouiai, Bruey, Wognin, Loncle.

Merci au Miroir du Football, n° 4, avril 1960 pour l'article et à Roland de Veneffles pour les scans.