LES COULISSES DE L'EXPLOIT

Un reportage de Gérard ERNAULT

Photos André LECOQ

Avant chaque match les Angevins font retraite quelques heures aux Ponts-de-Cé. Voici et avant l'heure H le S.C.O en pleine décontraction. De gauche à droite : Brulez [ndlr, hmmm, ok], Berdoll, Lemée, Cassan, Bourdel, Edwige, Guillou, LeChatelier, Bedouet, Poli, Antic, Damjanovic, Gouraud. [ndlr, un petit clic et une version grand format va s'ouvrir dans une autre fenêtre.]

Le S.C.O. d'Angers qu'il ne faut pas trop s'entêter à classer dans les équipes moyennes du championnat sous peine de passer pour un dangereux ignare (n'ayant pas pris connaissance des résultats des deux saisons précédentes) n'est évidemment pas un club comme les autres. A moins que les autres ne soient pas comme lui ce qui, réflexion faite, doit revenir au même.

Le plus gros mystère qui plane depuis la nuit des temps du football sur le club angevin est bien celui de savoir comment un club dont la moyenne de spectateurs frise le ridicule (6.020 en 71-72 quand l'équipe a décroché sa place en Coupe de l'U.E.F.A. et 6.276 l'an passé alors qu'elle finit cinquième du championnat) réussit à tenir la route avec autant d'aisance. Et d'un !

En corollaire on peut se demander comment au travers des années le S.C.O. maintient une tradition dite de beau jeu avec tant de constance et d'indifférence pour les théories modernes de football de combat.

Enfin il est possible d'examiner pourquoi, malgré les bons résultats acquis qui le placent parmi les 7 ou 8 meilleures équipes françaises de la décennie, le S.C.O. ne fait pas recette chez lui, plante grasse poussant sur un terrain désertique, donnant des feuilles superbes mais dont les racines ne sont pas enfouies très profondément. C'est par cela que nous allons commencer.

Le S.C.O. d'Angers a longtemps eu pour président M. Abel Doize patron d'une entreprise de pneumatiques, personnage intégre quoique habile et qui sut avec des bouts de ficelle et des artifices d'artisan génial faire vivre son club comme un grand. Enfin presque. La politique du « père Doize » parfaitement adaptée à la conjoncture locale était basée sur les transferts. En gros, quand le S.C.O. avait réussi à faire sortir un joueur de bonne valeur il s'empressait de le monnayer. Avec l'argent, il pouvait parfois s'offrir deux joueurs d'un coup ce qui lui permettait de repartir pour une saison.

Il va de soi que dans un club contraint à cette gymnastique il ne restait plus grand chose pour payer le personnel d'encadrement. En même temps que président le « père Doize » était donc secrétaire, dactylo, directeur sportif, comptable et n'agitait pas du matin au soir des idées de marketing propres à faire du S.C.O. un laboratoire pour tout te football français.

Abel Doize dirigeait et son entreprise et son club de son bureau.

Il y a 9 ans il fit venir d'Audun-le-Tiche, pour le seconder, Robert Lacoste. Il l'installa en face de lui. Abel Doize a passé la main. Le docteur Kerjean calme et courtois l'a remplacé. Lacoste est toujours là. Toujours dans le bureau. Toujours face à Doize, 78 ans.

Ce bureau il faut en parler, le décrire car il est le centre nerveux du S.C.O. en même temps que l'exemple le plus anachronique dont le football français puisse sans doute se vanter en pleine deuxième moitié du vingtième siècle.

Dans une pièce de trois mètres sur quatre aux murs nus et froids avec un téléphone servant à la fois pour les affaires Doize et le club, deux commodes à tiroir et un placard abritent toute la fortune d'une des meilleures équipes françaises. Tout est là, livres de compte, bordereaux et salaires, dossiers des joueurs, directeur sportif, entraîneur, matches amicaux, matches de coupe, groupement, fédération et les archives complètes de toutes les saisons avec les résultats, les buts, le nombre de spectateurs, les recettes consignées dans un cahier d'écolier où l'écriture précise de Robert Lacoste a laissé sa marque. D'ailleurs, partout ici, fleurit l'écriture de Lacoste puisqu'il est le seul à s'occuper de l'intendance assumant à son tour les rôles de comptable, directeur sportif, recruteur, etc. Le S.C.O. n'a pas de secrétaire. Une des filles d'Abel Doize effectue quand c'est vraiment nécessaire les travaux de secrétariat. Quand Lacoste part en vacances et pour peu qu'Abel Doize soit sorti du bureau le S.C.O. ne répond plus...

TRAGIQUE ET DESOPILANT

Il ne faut pas mésestimer le côté à la fois tragique et désopilant d'une pareille infortune. Elle explique mieux qu'un dessin les problèmes à nul autre pareils du club angevin qui est pourtant l'un des rares en France à tenir tous ses comptes au grand jour et qui ne doit rien à personne sinon au travail fourni par ceux qui en font partie et à la municipalité, laquelle en versant à peu près 80 millions par an dans les caisses du club lui donne un sérieux coup de main.

Sinon avec son budget de 350 millions par ans le S.C.O. ne s'en tirerait pas.

Il est évidemment question ici de la section football d'un club omnisports dont le président est Me Lemonnier ancien international de hockey et dont le siège se trouve rue Claveau à Angers. Le S.C.O. omnisports n'est pas mieux loti que le S.C.O. tout court si l'on peut s'exprimer ainsi et il arrive bien souvent que les membres de la section athlétisme soient obligés de payer et leur déplacement et leur repas. Il y a donc un problème assez général du sport dans cette agglomération angevine. Rappelons ici en passant que les footballeurs de première division voyagent en première classe depuis la saison dernière seulement...

Mais tout n'est pas si noir puisque il est question (cela fait d'ailleurs 4 ans qu'on en parle) de plus en plus sérieusement que le S.C.O. (football) s'installe enfin dans ses murs et s'offre si tout va bien une secrétaire à temps plein. Ce sera quasiment Byzance...

LA POLITIQUE DE RECRUTEMENT

Placé devant des problèmes financiers d'une telle ampleur et qui mettent souvent son existence même en danger le S.C.O. d'Angers ne peut avoir évidemment les mêmes prétentions en matière de recrutement que ses petits camarades de Nice, Marseille, Nantes, Saint-Etienne... (Robert Lacoste dit : « Avec les 7 millions de la recette Marseille Saint-Etienne nous avons de quoi vivre 6 mois »). Cette contrainte détermine donc toute la politique de recrutement du club et assure la pérennité de son style comme nous allons le voir.

Quand on examine l'effectif actuel du S.C.O, on remarque que sur 13 titulaires, 8 sont issus des rangs du club ou qu'ils y ont mûri : Bedouet, Berdoll, Edwige, Gouraud, Brulez, Lecœur, Lechatellier, Guillou, Poli, Bourdel avec ses 11 ans de présence peut être considéré comme le plus angevin de tous ; seuls demeurent trois éléments « rapportés » mais parfaitement intégrés à l'équipe : les deux Yougoslaves Antic et Damjanovic et le boute-en-train de l'équipe, Jacky Lemée.

Cette prolifération de gens de rang modeste à l'origine étant venus s'accomplir au soleil de l'Anjou est évidemment la conséquence directe des faibles moyens financiers du club.

N'étant pas mis en mesure de se payer une fois l'an de grandes vedettes (la seule fois où cela lui est arrivé, c'était avec le Sedanais d'alors et désormais Strasbourgeois : Yvan Roy, acheté 39 millions en 1967. La conclusion fut l'année suivante la descente en deuxième division alors que le S.C.O. envisageait tout simplement de jouer le titre), le S.C.O. fouine, cherche ici et là des solutions de remplacement. Et il les trouve.

Il est un peu paradoxal de dire qu'il tire sa richesse de son humilité mais il y a un peu de ça. Obligé de porter attentivement son regard, sous peine de disparaître, du côté de jeunes joueurs, il finit forcément par les enrôler.

Peut-on à partir de cette constatation inhérente aux conditions économiques de la vie du club, en déduire qu'elle influe fortement sur le style de l'équipe ?

Très certainement. La tradition de beau jeu a sans doute toujours existé dans cette région de France où le bon, le doux, sont des adjectifs appréciés et qui imprègnent la mentalité de la population. Elle s'est maintenue d'autant plus facilement qu'un garçon d'une vingtaine d'années est beaucoup plus malléable et réceptif qu'une vedette. On pourra demander sans problème au premier de se fondre dans la collectivité, d'adopter ses principes, d'épouser ses objectifs. Il sera difficile au second de modifier sa manière, de se transformer en technicien si ce n'est qu'un fonceur. On imagine ce que cet exemple répercuté cinq ou six fois peut donner globalement.

Ensuite à partir du moment où Angers possède cette réputation d'équipe jouant bien au football, elle n'attire dans ses filets que des gens dont les idées générales sur le jeu correspondant aux siennes. Il n'y a même plus besoin de faire le tri. Tout cela est très logique.

Prenons par exemple le cas de Damjanovic. Il a été recommandé au S.C.O. par Kovacevic, pas sur sa bonne mine mais pour la certaine idée qu'il se faisait du jeu de football et qui selon toutes probabilités devait se marier à merveille avec celles du club angevin. Même chose pour Antic à propos duquel, supervisant Angers-St-Etienne à la mi-août, Stefan Kovacs avait effectué une de ses sorties coutumières et humoristiques.

Kovacs discutait avec le Président Kerjean.

« J'ai connu Antic en Yougoslavie, disait-il. Il était excellent. Un des meilleurs joueurs du pays.

- Nous le faisons jouer en faux ailier répondit le Président, car nous nous sommes aperçus que c'était vraiment un faux ailier.

- Mais l'avez-vous payé cher ? dit alors Kovacs.

- Très.

- Alors, pour ce prix-là vous auriez mieux fait d'en prendre un vrai. »

Il n'est pas trop difficile d'expliquer comment à travers les ans le S.C.O., qu'il soit entraîné par Pasquini, Leduc, Nagy ou aujourd'hui Pancho Gonzalès, passe immuable. Il est peut-être possible de s'extasier davantage sur les résultats obtenus.

C'est alors oublier deux choses. Une équipe est une communauté. Il y a différentes façons de la souder qui vont de l'argent à la communion d'idées. A Angers, on communie. Et puis arrivant au S.C.O. l'ambition de tous les nouveaux est de se faire un nom, de jouer avec enthousiasme, d'en vouloir. L'esprit d'équipe et la volonté de bien faire existent ici d'eux-mêmes sans que des préposés à la stratégie, ou au moral soient obligés d'intervenir à tout bout de champ.

Cette maturité d'une équipe se faisant toute seule, petite merveille d'autonomie, explique son farouche besoin d'indépendance et ses vives réactions quand un ingérence quelconque, fut-elle celle de l'entraîneur ou des dirigeants, tend à trop se développer.

Il est simple de comprendre que le contrat à temps s'insérant dans un milieu déjà traumatisé par les problèmes d'argent, risque de le bouleverser gravement. Bourdel, Damjanovic, Poli, Lassalette, Lecœur, arrivent en fin de contrat au mois de juin prochain remettant en cause l'équilibre de l'équipe qui ne peut supporter pareille saignée sans répercussions. Le temps n'est plus où Abel Doize se livrait au grand jeu des transferts pour amener l'huile dans les engrenages.

Le S.C.O. aurait bien mérité d'une émission de télévision aujourd'hui disparue et qui s'appelait « Les Coulisses de l'Exploit ».


Berdoll-Guillou deux internationaux pour le S.C.O. et deux rois de la pétanque.


Edwige, Berdoll, Cassan : il faut bien que jeunesse se passe.

Merci à Football Magazine (octobre 73) pour l'article et à Rodighiero pour le scan.