LES GRANDS « TRANSFERTS » 74

LES DEUX AMOURS DE POLI : ANGERS ET LE PARIS S.G.

par Victor PéRONI

Plusieurs clubs étaient sur lui. Vous pensez à 29 ans, Albert Poli, Angevin depuis huit saisons - ce fut son premier club pro lorsqu'il vint d'Audun-le-Tiche dans les bagages de Robert Lacoste, un homme qui s'y connaît - allait être libre.

C'était l'affaire à ne pas manquer car non seulement Poli est l'excellent joueur que l'on connaît mais c'est un garçon extrêmement fair-play et qui en dépit de tous les appels du pied ne voulut jamais se décider qu'en fin de saison.

Déjà au milieu de l'année passée le SCO sentant que Poli pourrait bien lui échapper, lui avait fait des propositions destinées à le conserver, mais Albert refusa de s'engager répondant simplement :

« Je ne prendrai une décision que lorsque le championnat sera terminé. »

Le Red Star, Rennes, Monaco, Reims le suivaient du coin de l'œil. Mais le dernier en piste, le Paris-Saint-Germain allait enlever le morceau.

En fait, à l'origine, Albert Poli songeait vaguement à signer au Paris F.C. En effet, après huit ans passés dans une équipe certes parfois brillante, mais limitée de part ses moyens financiers et son public souvent modeste pour une formation de ce renom, Poli souhaitait « changer d'air » et surtout « voir plus grand ».

La capitale, c'est certain, l'attirait et comme le Paris S.G. n'était pas parti avec l'intention de monter en Division I dès la première année, les préférences de Poli iraient évidemment à l'équipe entraînée par Dalla-Ciéca. Et puis tout se précipita et les deux dubs parisiens connurent subitement des fortunes inverses en ce sens que le Paris S.G. à l'issue des matches de barrage remplaça purement et simplement le Paris F.C. en Division I. Cela changeait du tout au tout pour Poli, d'autant qu'au Paris S.G. de Fontaine, il y avait Deloffre et Dogliani, c'est-à-dire des hommes qu'Albert connaît bien. En effet celui qui formait avec Guillou le « milieu » de terrain le plus remarquable de France, avait auparavant fait équipe à Angers avec Dogliani et aussi avec Deloffre. Et ces deux hommes qui ont été de longues saisons à même de juger et d'apprécier les qualités de ce footballeur, ont terriblement « poussé à la roue » pour que leur ancien coéquipier du SCO vienne rejoindre « la bande à Fontaine ».

UN JOUEUR DE « BONNE HUMEUR »

Car en fait Poli est bien dans le style qui plaît à Justo. C'est un demi d'attaque qui travaille beaucoup, dont l'intelligence de jeu n'est plus à vanter et qui de plus est toujours d'une correction parfaite. Et pourtant il lui arrive souvent de prendre des coups, mais il se garde bien de les rendre. D'un naturel souriant, il ne se met pratiquement jamais en colère. C'est un joueur de bonne humeur.

Cette bonne humeur complète bien ses qualités de footballeur. Il est heureux de jouer lui qui au départ fut quand même mineur de fond pendant plus d'une année, comme son père. Car les Poli sont Italiens et bien que le fils soit venu en France tout jeune — il n'avait pas dix ans — Albert n'est officiellement Français que depuis deux saisons. Quoiqu'il en soit, il dut lutter « pour sortir de la mine » et le meilleur moyen de rompre avec ce difficile métier c'était d'essayer de se distinguer en football. Il y parvint d'ailleurs assez vite. A tel point qu'il faillit être sélectionné dans l'équipe de France junior. C'est à ce moment-là qu'on s'aperçut qu'il n'était pas Français.

UN HOMME DE TANDEM

A l'époque, Albert aurait pu opter, mais il n'y songea guère et lorsque son entraîneur, Robert Lacoste, quitta la Lorraine pour l'Anjou, il le suivit. Pourtant les choses n'allaient pas, là non plus, être tout à fait simples. En effet, alors qu'Albert s'était fait assez rapidement une excellente réputation, il faillit bien, il y a trois ans, être la victime de la loi sur les étrangers. En effet Angers ayant tout à coup deux Yougoslaves, Poli se trouva — à sa grande surprise, car il pensait avec logique, avoir prouvé qu'il était mieux qu'un remplaçant ou un bouche-trou — en surnombre... Il avait même perdu sa place. C'est alors qu'il alla offrir ses services à Rennes.

Mais le SCO ne pouvait se passer aussi longtemps d'un homme qui, dans les divers tandems où il s'est trouvé apportait bien souvent la note dominante. On disait souvent « Guillou-Poli », mais on pouvait tout aussi bien dire « Poli-Guillou ». Les deux hommes ont en commun de pouvoir être aussi bien de « grands leaders techniques » comme de pouvoir clarifier une situation sans hésiter une seconde à faire le ménage. C'est finalement la marque des grands joueurs actuels : pouvoir dominer, survoler, mais aussi ne pas rechigner à se mêler lorsqu'il le faut au travail obscur.

Les Angevins pour récupérer celui qui se morfondait sur la touche rappelèrent au Groupement que Poli n'ayant jamais joué au football autre part qu'en France pourrait fort bien bénéficier d'une licence d'assimilé. Il l'obtint en attendant de se faire naturaliser. Et il signa avec Angers un contrat de trois ans.

Il est assez piquant de penser que l'homme qui aura réussi peut-être la meilleure affaire de cette inter-saison était il y a trois ans à la recherche d'un club et qu'il était même allé, répétons-le, car cela mérite qu'on s'en souvienne (ne serait-ce que pour juger la compétence de certains) frapper à la porte du Stade Rennais qui à l'époque venait, après une période difficile de repartir sous la houlette de Jean Rohou. Celui-ci avait eu la main heureuse en engageant Marcel Aubour.

DANS UN CLUB AMBITIEUX

L'actuel président de Rennes, Bernard Lemoux, trois ans après, a fait des pieds et des mains pour acquérir Poli que ses prédécesseurs avaient ainsi laissé filer. Albert fut bien près de donner son accord pour toute sorte de raisons. Mais lorsqu'il fut acquis que Paris Saint-Germain jouerait en Division I et au Parc des Princes, Poli devant les propositions qu'on lui fit ne pouvait plus hésiter. (Propositions en accord avec la charte toutefois).

Il entre en effet dans un club ambitieux qui, déjà au cours de la saison passée lorsqu'il engagea M'Pelé pour un prix extraordinaire, avait montré le bout de l'oreille. Daniel Hechter avait même dit à un dirigeant bastiais qui tentait de lui disputer M'Pelé « Si nous accédons à la première division en fin de saison nous allons essayer tout de suite après de jouer le titre ».

Il n'a certainement pas changé d'avis et les arguments qu'il a présentés à Poli ont été déterminants.

LES POLI ET LES GUILLOU

Certes, dans l'histoire, Albert perd, en la personne de Jean-Marc Guillou, plus qu'un coéquipier, un ami, une sorte de frère jumeau. Les Poli et les Guillou étaient en effet très souvent les uns chez les autres. Bien des fois Guillou venait aider Poli à faire son jardin. Au bridge ils faisaient équipe... D'ailleurs les deux couples passèrent les vacances ensemble en Espagne la saison dernière.

Et Poli serait peut-être même resté un an de plus à Angers si le SCO s'était qualifié pour une Coupe européenne. Encore qu'à deux journées de la fin du championnat il était partant à 95%.

Les propositions de Paris Saint-Germain ne pouvaient finalement qu'être favorablement accueillies par Albert Poli qui trouve à la fois le pactole, un milieu ambitieux et la grande ville, ce qui n'est pas pour déplaire à madame Poli.

LE PLAISIR DE JOUER

Bien sûr, jusqu'à présent, Albert était heureux de son sort. Il ne songeait guère à se plaindre si ce n'est parfois comme beaucoup d'Angevins pour brocarder la rigueur financière d'Abel Doizé, le trésorier du SCO, qui fit d'ailleurs dans une certaine mesure la fortune — si l'on peut s'exprimer ainsi — du club angevin. Poli comme certains de ses compagnons ont connu cette « époque Doizé » et il était souvent de bon ton d'en dire beaucoup de mal. Puis l'argent se fit moins parcimonieux. Sans positivement rouler sur l'or, les Angevins figurèrent peu à peu parmi les joueurs les mieux payés de notre football. Ils le méritaient d'ailleurs largement et ils eurent toujours le bon esprit de conserver avant tout le plaisir de jouer.

Poli saura conserver ce plaisir. Certes on ferait sourire si l'on affirmait qu'il n'est pas « un homme d'argent ». Et pourtant, c'est vrai. Pour Poli il n'y a pas que l'argent qui compte. Mais réfléchissez une seconde : lorsque vous avez failli - ne serait-ce qu'un temps — croupir sur un banc de touche, lorsque vous vous êtes trouvé en posture de devoir « tirer des sonnettes » en dépit de vos qualités et que tout d'un coup on découvre que vous méritez une fortune, pensez-vous la refusez ?

Si Poli qui, au début de la saison 72, faillit devenir chômeur s'est réveillé plus tard avec des pieds d'or, c'est tant mieux pour lui.

Il aurait d'ailleurs tort de ne pas profiter de cette inflation galopante que connaît le monde du football et pas seulement en France. De toute façon Poli aurait été proprement fou de refuser de venir à Paris où le couturier Daniel Hechter entend faire une équipe... sur mesures. Et il n'est pas désagréable de penser que l'ex-Angevin sera un des hommes de base du chef-d'œuvre qu'on nous prépare.

De toute façon, une chose est sûre : quel que soit son salaire, Poli saura toujours en donner largement pour son argent. Elevé à la dure ce n'est pas l'homme à s'endormir. Même sur un matelas cousu d'or.

VICTOR PÉRONI


LES "JUMEAUX" SÉPARÉS. Jean-Marc Guillou (dans son fauteuil) et Albert Poli paraissaient inséparables. On les appelait les "jumeaux du S.C.O. ". Mais le destin les a séparés. (Photo Krieger).


La signature du contrat qui le lie au P.S.G., dans le bureau de Daniel Hechter.


Poli, un footballeur consciencieux à l'entraînement comme sur le terrain.


Ces tours, celles du château du roi René, une ville dans laquelle il se plaisait.


Il quitte ses moutons et sa tranquillité pour la grande ville qui doit couronner ses rêves.


A l'intersaison, le S.C.O. aura perdu deux serviteurs sûrs : le Dr Kerjean à gauche, le président démissionnaire du club et Albert Poli, l'un des moteurs de l'équipe.

Merci à Football Magazine (juillet 74) pour l'article et à Rodighiero pour les scans.