Jean-Marc GUILLOU

Commençons par la feuille de match (merci à la Fedération Française de Football) :

Le 12-10-1975, Leipzig (Zentralstadion, 30000 spectateurs)
Qualification Championnat d'Europe
Arbitre : M. FREDRIKSSON Erik (Suède)
R. D. ALLEMAGNE 2 - 1 (0 - 0) FRANCE

0:1 Bathenay (50), reprise à la limite du hors-jeu d'un tir d'Emon repoussé par Croy.
1:1 Streich (55)
2:1 Vogel (77 p)

FRANCE :
BARATELLI Dominique (O.G.C. Nice)
JANVION Gérard (A.S. Saint-Etienne)
ADAMS Jean-Pierre (O.G.C. Nice)
TRÉSOR Marius (Olympique de Marseille)
BRACCI François (Olympique de Marseille)
MICHEL Henri 0 = (F.C. Nantes)
GALLICE Jean (Girondins de Bordeaux)
GUILLOU Jean-Marc (O.G.C. Nice)
BATHENAY Dominique (A.S. Saint-Etienne)
ROCHETEAU Dominique (A.S. Saint-Etienne)
EMON Albert (Olympique de Marseille)

R. D. ALLEMAGNE :
CROY Jürgen
WEBER Gerhard
WEISE Konrad
DÖRNER Hans-Jürgen
FRITSCHE Joachim
HÄFNER Reinhard
SCHADE Hartmut
LAUCK Reinhard
STREICH Joachim puis 75 HOFFMANN Martin
DUCKE Peter
VOGEL Eberhard

Bien qu'il reste encore un match à jouer, cette défaite élimine la France de la phase finale de la Coupe d'Europe des Nations 1976. S. Kovacs adopte un schéma de jeu en 4-4-2 avec un milieu prudent où Bathenay tient un rôle de demi défensif (contre le meneur de jeu Häfner) et Gallice d'avant-centre en retrait naviguant entre les deux surfaces de réparation.

Ci-dessous, un article de Jacques Thibert paru dans son Année du Football 1976 :

Mourir à leipzig

En six semaines de temps, l'eau coule sous les ponts, et les nuages défilent dans le ciel. Quand approche le match contre la R.D.A. à Leipzig (fixé au 12 octobre 1975), beaucoup de choses ont changé depuis la victoire sur l'Islande. D'abord, Michel Hidalgo a été officiellement choisi comme successeur de Kovacs après une incertitude qui n'en était pas vraiment une. Ancien joueur professionnel dont le passage à Monaco fut sanctionné par deux titres de champion et une Coupe (doublé 1963), ancien demi porté vers l'offensive, ancien international (une sélection contre l'Italie... à l'aile gauche), Hidalgo n'a pas d'expérience d'entraîneur, mais il fait partie des sacro-saints cadres techniques de la Fédération. Adjoint de Boulogne puis de Kovacs, il a grandi et a été nourri dans le sérail. Il ne connaît pas les problèmes de club mais il connaît ceux d'une sélection.

Hidalgo, qui a refusé le « chapeauta-ge » de Batteux, s'est irrité des réticences faites à son sujet dont, indirectement la moindre n'était pas celle-ci, contenue dans un éditorial de France-Football : « Il ne nous semble pas, après les expériences que nous avons connues, que la personnalité du sélectionneur soit très importante. Aucun d'eux n'est capable de miracle. L'important, c'est donc son honnêteté, son travail et ses contacts avec les entraîneurs de clubs et les joueurs. Le meilleur sélectionneur, à nos yeux, sera le plus discret, celui qui s'intégrera le mieux à notre football. » A en croire ce jugement, c'est donc la discrétion qui va prendre le pouvoir à la tête de l'équipe de France.

Avant même d'entrer en fonction, puisque Kovacs reste en place jusqu'en décembre pour les matches de Coupe d'Europe des Nations contre la R.D.A. et la Belgique, Hidalgo précise tout de suite : « Je ne suis pas Kovacs et je ne suis pas Boulogne. Il serait ridicule d'ailleurs de chercher à les imiter. J'ai eu la chance de pouvoir bénéficier du sens de l'organisation de Georges Boulogne et des fantastiques connaissances du football de Stefan Kovacs. Maintenant, je vais essayer simplement d'être moi-même. J'estime que ma nomination au poste de sélectionneur de l'équipe de France n'est pas illogique dans la mesure où j'ai gravi un à un tous les échelons de la hiérarchie du football. On me reproche malgré tout une certaine inexpérience mais je réponds que l'on ne peut être jeune et avoir un passé. »

Ça, c'est pour Batteux lequel s'étonnait un peu plus tôt que les gens lui reprochant d'être un homme du passé soient justement ceux qui n'en avaient pas.

Ce qui a changé aussi, c'est le visage du groupe 7 éliminatoire, le nôtre. Les Allemands de l'Est ont eu, en effet, la bonne idée d'aller battre les Belges au Heysel (2-1 le 28 septembre). En conséquence, les actions des Français ont remonté en flèche. « Si nous faisons match nul à Leipzig et si nous battons les Belges au Parc le 15 novembre, nous jouerons les quarts de finale », disent les Pères La Victoire. Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Et si on avait dix-neuf sous pour faire vingt sous, on s'achèterait un château. En Espagne.

Depuis que le championnat de France a démarré et poursuivi sa route au rythme de deux journées par semaine, les internationaux en puissance sont tombés comme des mouches. L'Equipe en fait d'ailleurs le bilan avant Leipzig : « Jamais sans doute, dans sa longue histoire, notre équipe de France, si souvent pourtant secouée par la tempête, n'a connu pareille avalanche de défections et de blessures. Comme si jusqu'au bout le football français tenait à montrer à Stefan Kovacs sa fragilité congénitale. Mais c'est quelquefois dans l'infortune que se forgent les révoltes les plus ardentes. « Rien n'est jamais acquis à l'homme, a dit le poète, ni sa force ni sa faiblesse... » Ni sa faiblesse ! Nous contemplerons peut-être demain une équipe meurtrie, diminuée, rafistolée. Mais passive, abandonnée, résignée ? Nous ne le pensons pas. Cependant, il faudra bien, de toute façon, après ce match, aborder en face le problème de la résistance et du régime de nos footballeurs. C'est vrai qu'à l'étranger aussi, au Bayera comme en Belgique, les blessures ont tendance à se multiplier. On joue trop, pour des raisons économiques, dans les pays où règne le professionnalisme. Et quand les Coupes européennes et les sélections viennent s'ajouter au Championnat, l'organisme craque ici ou là. Et l'on voit coup sur coup Larqué, Bereta, Jodar, Huck, Jouve rejoindre à l'infirmerie Sarramagna, Lacombe, Molitor. Parmi les autres, qui sont à Leipzig, Trésor, Adams, Michel, Roche-teau tremblent à l'idée d'une aggravation de leur état. Ça fait beaucoup, ne trouvez-vous pas ? »

Pour se mettre en jambes au cours de leur stage à Landersheim, les Tricolores ont rencontré Hambourg S.V., l'ancien club de Uwe Seeler. Match pas très palpitant (0-0) qui a permis cependant à Kovacs, au cours d'un entretien avec son ancien joueur d'Ajax Blankenburg, de situer les possibilités de Jean Gallice au poste d'avant-centre et de le titulariser contre la R.D.A.

Elle a un visage tout neuf, cette équipe de France avec Janvion au poste d'arrière droit, Bathenay au milieu de terrain et une attaque Rocheteau-Gallice-Emon. Il ne faut pas se leurrer. Ce sont les circonstances qui l'ont imposée, au grand intérêt des observateurs. Car la présence du jeune Stéphanois Bathenay, demi de défense et de devoir, athlète calme et solide, va équilibrer le milieu de terrain alors que ça n'a jamais été le cas dans le passé. Kovacs n'éprouve pas d'ailleurs, à l'époque, une grande passion pour Bathenay qu'il trouve « trop lent pour faire une carrière internationale ». Plus tard, Bathenay deviendra « le plus hollandais des joueurs français », toujours selon Kovacs.

Le seul défaut de Bathenay serait plutôt l'insouciance. Convoqué avec les Espoirs à Poitiers, il n'a pas apporté son passeport dans l'éventualité d'un voyage à Leipzig. Avisée par téléphone, sa jeune épouse lui a envoyé... le livret de famille. Il faudra une chaîne étonnante pour que le passeport en question gagne Leipzig et dédouane l'intéressé.

« Nous devrons jouer à la fois la sécurité et l'audace, annonce Kovacs à ses troupes. Question d'astuce, de clairvoyance, de bonne organisation et d'opportunisme. Avec Guillou et Michel, d'une part, avec nos deux ailiers, d'autre part, nous avons les moyens d'exploiter la moindre possibilité. N'oublions pas que la R.D.A. va se trouver confrontée pour la première fois à un problème qu'elle n'a ni l'habitude, ni l'aisance de résoudre facilement. Il va lui falloir attaquer, prendre des risques pour gagner à tout prix. D'ailleurs, voyez les deux résultats qu'elle a obtenus chez elle : deux fois match nul : 0-0 et 1-1 contre la Belgique et l'Islande. »

Cet objectif du match nul, l'équipe de France semble bien près de l'atteindre. Elle côtoie d'abord l'irrémédiable au cours d'un premier quart d'heure qui compte dans la vie d'une sélection. Mais Baratelli, le gardien niçois en superforme, endigue tous les assauts notamment le tir du libero Doerner à la septième minute.

Faisant front avec beaucoup de vaillance et de sang-froid, l'équipe de France passe le cap dangereux et se crée même deux occasions très favorables en première mi-temps par Rocheteau, échappé à la 20e minute, et par Emon à la 36e. Elle exprime rarement un jeu collectif très élaboré comme on aimerait la voir faire, mais elle combat durement, lucidement, face à un adversaire redoutable et entreprenant.

La surprise est tout de même de voir Guillou, poète parmi les poètes, matraquer allègrement toutes les jambes qui passent à sa portée. On attendait son génie et voilà qu'on découvre sa bile. On apprendra plus tard qu'un coup reçu d'entrée sur la cheville l'a exaspéré. Et que la tactique choisie par Kovacs ne l'a pas mis en position favorable. « Il y avait trop de ballons dégagés à l'aveuglette et difficilement négociables », dira le maître à jouer niçois.

Cinq minutes après le début de la seconde mi-temps, un coup de théâtre semble modifier le cours de la rencontre. Après avoir jailli de la défense tricolore, comme il le fait si souvent à Saint-Etienne, Bathenay s'élance en avant suivi d'Adams. Celui-ci sollicite alors Emon sur l'aile gauche lequel, après être entré dans la surface de réparation allemande, déclenche un tir si soudain du pied droit que Croy relâche le ballon. A la limite du hors-jeu, Bathenay surgit et ouvre le score (50e minute).

Il fallait un match nul à l'équipe de France et le destin lui offre la victoire sur un plateau. Dans les mêmes circonstances, on verrait les Italiens, les Allemandes, les Hollandais, redoubler de rigueur afin d'éviter les errements défensifs. Les joueurs de l'équipe de France, leur histoire en témoigne, ont rarement réussi à cerner cet équilibre collectif qui mène aux grandes conquêtes. Dès la 55e minute, sur un corner tiré par le gaucher Vogel, la R.D.A. égalise par Streich. Le petit Allemand, placé en embuscade, a exploité un ballon qui folâtrait. Et, au fur et à mesure que le temps passe, on devine, on craint, on sent venir la catastrophe. Elle vient, avec l'exactitude d'une feuille de contributions.

Le grand Bracci, avec ses longues jambes et ses mouvements désordonnés, ressemble à un moulin à vent, un jour de tempête. Il n'a pas remarqué que l'arbitre suédois M. Fredriksson est exaspéré par les fautes à répétition des Français. Quand, à la 77e minute, Haef-ner se heurte à Bracci et s'étale en hurlant, c'est le penalty. « Scandaleux, révoltant, insensé », crient les Tricolores. Le pied gauche de Vogel porte le score à 2-1.

On ne saura jamais si Bracci a touché ou non Haefner. Mais ce que l'on sait, c'est que le penalty était « en situation » et qu'il sanctionnait finalement une perte de sang-froid collective.

La divergence des commentaires est énorme après cette défaite de Leipzig. « L'équipe de France a joué son meilleur match depuis que je la dirige », dit Kovacs. « L'avenir n'est pas sombre », ajoute Hidalgo. « Nous sommes sur la bonne voie », affirme l'éditorialiste de France-Football. « Ce qui s'appelle travailler pour le roi de Prusse », lit-on dans L'Equipe. Quant à Albert Batteux, il met ouvertement en cause l'utilisation faite des qualités des joueurs français. Ce n'est pas nouveau. C'est pour cela qu'on l'a mis au piquet.

Une chose est sûre en tout cas : la Coupe d'Europe des Nations est terminée pour les Français, même s'il leur reste à jouer un match contre la Belgique.



Jean-Marc Guillou contre la RDA en 75.