Jean-Marc GUILLOU

Ci-dessous, un bien bel article à propos de Jean-Marc Guillou et de son match fabuleux contre l'Islande en 1975 (éliminatoires Championnat d'Europe des Nations de 1976). Merci à Jacques Thibert et son année du football 1976.

Quand l'enchanteur escamote les vikings

Avant même que ne débute la saison 1975-1976, on sait donc que l'équipe de France est pratiquement éliminée de la Coupe d'Europe des Nations. Elle a été battue à Bruxelles, les Allemands de l'Est lui ont pris un point au Parc et les joyeux Islandais lui ont glissé quelques harengs pas frais sous la semelle (0-0). Le classement du groupe 7 est alors le suivant : 1. Belgique 5 points et 3 matches ; 2. Islande 4 pts et 4 matches ; 3. R.D.A. 3 pts et 4 matches ; 4. France 2 pts et 3 matches.

Cela n'empêche pas les optimistes de profession et les manipulateurs de chiffres d'affirmer que l'équipe de France a encore ses chances. C'est-à-dire exactement les mêmes qu'un paquebot de se voir pousser des nageoires.

La première occasion de frapper un grand coup sur la grosse caisse se présente le 3 septembre 1975, contre les modestes Islandais. On a beau nous répéter que ces descendants de Vikings sont aussi redoutables balle au pied que leurs ancêtres sur leurs drakkars, la chose est difficile à digérer. 200 000 habitants, 20 000 footballeurs en comptant les unijambistes, et trois professionnels : des terreurs, on vous dit !

Sur leur terrain très particulier qui tient de l'éponge, de la toundra et du champ de patates réunis, les Islandais ont tout de même réussi le coup fabuleux de battre les Allemands de l'Est au mois de juin. Le sélectionneur Georg Buschner, qui a déjà en temps normal le visage avenant d'une porte de prison, est devenu aussi aimable qu'un porc-épic.

Donc, pour écraser les Vikings et leur montrer que nous ne sommes pas seulement des mangeurs de grenouilles, Kovacs ne lésine pas sur les moyens : mobilisation de l'armada, match d'entraînement contre le Real Madrid et stage à La Baule, à proximité de Nantes, théâtre des opérations.

Le match contre le Real se joue le 19 août 1975 dans un Parc des Princes honnêtement garni (37 000 spectateurs). Fidèle à sa réputation de sorcier, Kovacs a sorti trois nouveaux lapins tricolores de son chapeau : Dominique Rocheteau, l'Ange Vert, insolent de santé et de réussite depuis un mois ; Albert Emon, l'ailier gauche marseillais dynamique et percutant ; Dropsy, le gardien de Strasbourg.

Pour la première fois depuis longtemps, l'équipe de France joue avec deux véritables ailiers, et elle en retrouve aussitôt le goût de voler en altitude. Brillante, inspirée, efficace, elle domine largement (3-1) le Real Madrid qui n'a pas encore trouvé lui, sa vitesse de croisière. Rocheteau, comme il va le faire tout au long de la saison (quand il ne sera pas blessé), se taille la part du lion avec deux buts, des envolées irrésistibles et les bravos du public.

On a retrouvé Jean-Marc Guillou, l'enchanteur Merlin du football français ; et Marius Trésor, l'homme aux clefs d'or de notre défense. Mais deux fausses notes sont apparues dans l'orchestre : le déséquilibre du milieu de terrain Michel-Guillou-Larqué où Michel a tenu un rôle de demi defensif qui n'est pas le sien à Nantes et qui lui va aussi bien qu'un tablier à une vache ; et l'absence d'un véritable avant-centre que n'est pas, n'est plus ou n'a jamais été Marco Molitor le Niçois.

Au sujet des avants-centres, le chœur des pleureuses fait grand bruit. « Regardez, chante-t-il, qui tient ce rôle dans nos équipes de clubs : Bianchi à Reims, Yazalde à Marseille, Curioni à Metz, Onnis à Monaco, M'Pelé à Paris Saint-Germain. Tous des étrangers ! »

C'est vrai que le football français n'a pas à l'heure actuelle un Cisowski ou un Fontaine, l'un marquant cinq buts contre la Belgique, l'autre décrochant la couronne de meilleur buteur du monde. Le petit Lyonnais Lacombe pourrait être celui-là mais il s'est fracturé un pied (pour la deuxième fois) en faisant un footing en vacances. Quant à Hervé Revelli, las des critiques sur son style et son rendement, il a dit adieu à la sélection, à ses pompes et à ses œuvres.

« Pardon, écrit France-Football, il y a Chiesa, attaquant français numéro 1. Mais lui se met volontairement sur la touche, malgré l'insistance désespérée du sélectionneur et avec la bénédiction d'une opinion publique étrangement indifférente à cette démission. »

Le match contre l'Islande, le 3 septembre à Nantes, confirme ces insuffisances ressenties contre le Real. Sans le jeu somptueux de Jean-Marc Guillou, dont la forme étincelle aux feux de l'été, il n'y aurait même pas de quoi pavoiser ainsi que le souligne France-Football, l'hebdomadaire mondial du ballon rond : « On n'a pas le droit naturellement d'esquiver la question : mais que serait-il arrivé si le néo-Niçois n'avait pas accompli son double exploit ? Eh bien, on aurait eu une équipe de France comparable à celles que l'on a si souvent connues par le passé. Une équipe de France foncièrement supérieure à sa rivale, mais incapable de traduire cette supériorité au tableau d'affichage. Une équipe peu à peu paralysée par la vanité de ses efforts et menacée, à tout moment, d'une réussite de l'adversaire, comme d'un coup de poignard. Ce pas que nous attendons de l'équipe de France — gagner les matches qu'elle doit gagner —, elle ne l'a donc pas encore franchi ; elle reste vulnérable, à la merci d'un adversaire même médiocre. Faute de joueurs d'envergure vraiment internationale ou faute de cette profonde assurance collective et de cette rigueur impitoyable que seuls, à ce jour, les Stéphanois, à force de travail, ont su se donner. »

Heureusement donc, Guillou est là. Dans une équipe où Bereta ne figure pas pour la première fois depuis juin 1972, où Huck remplace Larqué blessé, et où Domenech connaît sa deuxième sélection, l'ex-Angevin devenu niçois apporte la lumière.. Car curieusement, pendant les dix premières minutes, les Français ont tremblé contre les athlétiques Islandais.

A la vingtième minute, Guillou accélère en dribbles et transperce la défense islandaise. Il sollicite l'appui de Michel, le trouve, dribble encore deux adversaires dont le gardien, et marque un but magnifique. Kovacs avait d'ailleurs demandé à Guillou de jouer plus en pointe que d'habitude et avait recommandé à ses joueurs de première ligne : « Dribblez dès que vous en avez l'occasion. Le dribble de première ligne est une arme nécessaire et même essentielle, car il permet souvent de déséquilibrer une défense : c'est un maillon de la chaîne qui saute lorsqu'un ailier réussit à éliminer un défenseur. »

Malgré le but de Guillou et malgré une belle flambée tricolore, les Islandais refont surface au point de frôler l'égalisation. Les Gaulois de Kovacs vont trembler pendant soixante-quatorze minutes, jusqu'au moment où Guillou réalise un nouvel exploit sur le côté gauche, en collaboration avec Emon. Après un dribble, il déclenche un tir si inattendu et si précis en lob que le gardien Stefansson n'esquisse pas un geste. 2-0, la victoire s'offre enfin et prend une trompeuse allure de triomphe avec la réussite de Berdoll (entré à la place de Molitor) à trois minutes de la fin.

« Guillou a décrispé les Tricolores », « Jean-Marc et les autres », titrent les journaux.

Tous les joueurs de l'équipe de France rendent hommage à l'intéressé. « Ce qui est magnifique chez Guillou, dit Trésor, c'est sa disponibilité de tous les instants.» « Sa seule présence dans l'équipe est libératrice, ajoute Huck. Il est là et il impressionne partenaires et adversaires. » « Guillou provoque l'égalité numérique en éliminant des adversaires et, à partir de là, permet d'envisager des actions jouables », explique Molitor.

L'équipe de France n'a pas encore gagné la Coupe du Monde. Mais le Premier Ministre, considérant sans doute qu'une victoire sur l'Islande et une victoire sur l'Allemagne c'est bonnet blanc et blanc bonnet, envoie un superbe télégramme de félicitations à la F.F.F. On se sent d'un seul coup réconforté à la pensée que le Grand Timonier participe à la longue marche. Demain, sûrement, les rosiers refleuriront.


Pour la petite histoire, la RDA a battu la France au match d'après (le match qu'il ne fallait pas perdre), l'éliminant ainsi de la phase finale de l'Euro 76.