GUILLOU toujours boudeur devant l'éloge

Victor PERONI

IL est en train de marquer son époque comme Raymond Kopa sut marquer la sienne. Pas étonnant, dès lors, que l'ancien international rémois ait remarqué Jean-Marc Guillou avant tout le monde — ou tout au moins avant ceux qui devaient le remarquer les premiers, c'est-à-dire les sélectionneurs. Il y a en effet quelques saisons, déjà Kopa, depuis longtemps installé à Angers, assistant à un match entre Nice et le S.C.O. et voyant Huck d'un côté et Guillou de l'autre, nous déclara : « Je n'ai peut-être pas assisté à une grande rencontre, mais j'ai vu le milieu de terrain de l'équipe de France... Enfin, ce qui devrait être le milieu de terrain de l'équipe de France ! »

Et comme il y avait déjà assez longtemps qu'on avançait pour le onze tricolore le nom de Guillou sans aucun écho favorable, Kopa ajouta : « Peut-être faudra-t-il que je devienne un jour sélectionneur pour que Guillou trouve sa place en équipe de France ! »

Fort heureusement Stefan Kovacs, dont on sait qu'il connaît sur le bout des doigts le football du monde, nous arriva un jour et pour son premier stage — le dernier qui se déroula à Saint-Malo — pensa à Guillou. Mais l'actuel capitaine d'Angers, qui aime la solitude, la tranquillité, qui ne parle pas facilement avec tout le monde, qui distille ses mots comme ses balles, est assez ombrageux. Il avait souvent dit qu'il n'aimait pas beaucoup les stages et Kovacs, dans un premier temps, prit cette sorte d'ermite du football pour un homme qui refusait tout contact. Il ne le retint donc pas. Fort heureusement il allait le reprendre plus tard et, en examinant mieux le « bonhomme », il s'aperçut que, contrairement à ce qu'avaient pu dire tous ceux qui refusaient Guillou sous les motifs les plus futiles (« il ne sait pas défendre, il ne sait pas attaquer, il ne tire jamais au but ») et autres fadaises qu'il a vigoureusement balayées mercredi dernier en une heure et demie contre la Hongrie, le « courant » passait fort bien entre lui et ce joueur qu'on lui avait présenté comme une espèce de sauvage.

Le courant passait tellement bien d'ailleurs que Guillou, quoique continuant de ne pas aimer les stages, s'empressait d'ajouter qu'ils sont quand même utiles. De plus, l'Angevin s'aperçut très vite que le directeur des équipes de France et lui parlaient le même langage du football. Une complicité venait même de naître et également un grand milieu de terrain qui fit ses premiers pas à Prague, se montra étonnant à Worclaw et fut rayonnant contre la Hongrie.

A tel point que, dès la fin de France-Hongrie et avant même tout commentaire, Stefan Kovacs a tenu à dire : « Je veux rendre un hommage particulier à Jean-Marc Guillou qui a fait son meilleur match dans l'équipe de France et ce n'est pas de sa faute si d'autres buts n'ont pas été marqués. »

Lorsque Jean-Marc eut connaissance des paroles de Kovacs il eut un sourire légèrement crispé. Il n'aime pas du tout que l'on ne parle que de lui, ou qu'on parle de lui d'abord. Il n'aime pas non plus qu'on dise qu'il peut être le grand patron de cette équipe de France. Même s'il se conduit précisément en patron comme à Prague, ou en Pologne, ou au Parc, il ne veut absolument pas en porter l'étiquette. Parce qu'il aime tellement le football, qu'il le pratique avec une telle joie, qu'il tient toujours à respecter avant tout l'esprit d'équipe. Lorsqu'on lui parle de... lui, il répond aussitôt : « Et Henri (Michel) et Jean-Noël (Huck). »

Car celui dont certains prétextaient pour l'écarter qu'il n'entendait pas « participer » ne veut absolument pas faire bande à part. « Si je joue bien, dit-il, c'est que j'évolue dans une équipe qui joue bien, et opérer dans une équipe qui est bonne vous transcende, c'est assez normal. Un bon match, un bon résultat, ne peuvent être l'œuvre d'un seul, nous gagnons, nous réussissons un bon match parce que nous sommes onze à participer du mieux possible. L'effort est commun. On profite du travail des uns et des autres. C'est comme cela que j'entends le football.

C'est d'ailleurs pour cela que mercredi dernier, au Parc, il s'est bien amusé. Car, à ses yeux, le football reste d'abord et avant tout un jeu et il dit aussi : « Mon plaisir est aussi grand de jouer un petit match sur une plage que devant cent mille personnes, j'en éprouve autant de joie si ici comme là on réussit de bons trucs. »

Et lorsqu'il lui arrive de ne pas jouer et qu'il en a la possibilité il se précipite pour aller assister à un match. Il aime bien aussi être spectateur. Car, dit-il, dans chaque match, il y a quelque chose à apprendre ou à retenir, quelque chose d'intéressant, quoi.

Qu'il le veuille ou non - il doit d'ailleurs en être furieux tel que nous le connaissons et prendre même cet espèce d'air boudeur et quasi buté qui est toujours le sien devant l'éloge - dés le jour où il a mis le pied en équipe de France il en est devenu le patron. Sans le rechercher, tout naturellement par son rayonnement, son art de mener le jeu, son élégance pour venir mettre de l'ordre en défense lorsque celle-ci connaît des minutes chaudes et cette attention constante qui fait qu'il se trouve toujours — lorsqu'il n'est pas à la pointe du combat — en soutien d'un camarade. Il tranquillise et encourage à la fois ses coéquipiers qui, dans le jeu, se réfèrent presque tous instantanément à lui dans les moments délicats. Il est d'autant plus contrarié que ce sont ses coéquipiers eux-mêmes qui ont immédiatement reconnu en lui le grand patron. Un patron tel que l'entend d'ailleurs Stefan Kovacs, c'est-à-dire un homme qui gagne ses galons sur le terrain, par la dimension qu'il apporte au débat.

Et quand on pense qu'à vingt-neuf ans Jean-Marc Guillou est un jeune international ! Il aura dû attendre, pour entrer en équipe de France, autant de temps qu'il a mis à se glisser dans l'équipe d'Angers. C'est qu'à Angers il y avait Dogliani, Deloffre, Poli, tous arrivés avant lui et difficiles à déboulonner. Or Guillou n'a jamais su jouer des coudes. Il dut donc attendre son tour. Mais à l'époque Jean-Pierre Dogliani m'avait dit :

« Il y a actuellement en équipe réserve un certain Jean-Marc Guillou dont vous entendrez parler. C'est même le plus fort de nous tous. »

Paroles d'orfèvre. Et c'est bien pour cela que nous connaissions Guillou depuis belle lurette. Mais il eût mieux valu pour lui — et pour l'équipe de France — que ce soit les entraîneurs nationaux qui, à l'époque, aient eu vent de son existence.


Bel article, ma foi, M. Péroni. Effectivement, Jean-Marc s'est morfondu bien trop longtemps en C.F.A. avec la réserve d'Angers. C'est à croire que certains éléments de l'équipe première ne voulaient pas le voir jouer avec les pros de peur de perdre leur place, tout simplement. Son talent et intelligence du jeu crevaient les yeux quand il jouait avec les amateurs. Concernant l'équipe de France, eh bien, Georges Boulogne préférait aligner des gars comme Michel Mézy au milieu. J'ai rien contre Mézy mais bon, Guillou c'était quand même autre chose. Merci à France Football (1er avril 1975) pour l'article et à cris72 ainsi que johnny rep pour les scans.