Mais quand finira-t-on de découvrir Guillou ?

Victor PERONI

IL y a quelques saisons déjà, assistant à un match — comme chaque fois que son travail lui en laisse le loisir — à Angers, entre Angers et Nice, match d'ailleurs assez insipide, Raymond Kopa, qui comme tout amoureux du ballon rond retient toujours quelque chose d'un match même si celui-ci n'est pas brillant, Raymond Kopa donc se retira satisfait en disant :

« Je viens de voir le milieu de terrain de l'équipe de France. Huck et Guillou ensemble, cela ferait quelque chose de bien. Et d'ailleurs si j'étais sélectionneur, je retiendrais immédiatement Guillou. »

Car c'était l'époque où ce footballeur d'exception était parfaitement ignoré dans les hautes sphères. Mieux même, lorsqu'on prononçait son nom on soulevait les sarcasmes et les réticences. A vrai dire, lorsqu'on parlait de Guillou. il y avait toujours pour certains un « poil sur l'oeuf ».

Dans un premier temps, les augures vous répondaient qu'il ne savait pas défendre. Oubliant simplement que Gulllou a disputé à Angers des matches comme arrière central. Ensuite, quand il fut quand même admis au plus haut niveau fédéral que Jean-Marc savait aussi défendre, on trouva qu'il n'attaquait pas assez. Qu'il ne savait pas marquer. Bref ce joueur complet ne savait finalement rien faire. C'est peut-être pour cela que Jean-Marc est devenu une découverte permanente pour ceux dont ce sera l'éternel remords de ne l'avoir jamais apprécié dès le moment où il convenait de prendre en considération cet extraordinaire manieur de balle, ce patron naturel du football français.

En fait, il aura fallu que Jacques Ferran aille un jour à Angers et le voie jouer, qu'il en parle à Kovacs, pour que celui-ci appelle de nouveau l'Angevin qui jusque-là n'avait été sélectionné que du bout des lèvres, et Kovacs, qui a l'habitude du football mondial, sut saisir tout de suite les immenses possibilités d'un homme qui devint ainsi international à part entière à vingt-neuf ans. Que de temps perdu !

Et parce que Guillou a marqué - et de quelle façon ! - les deux premiers buts de la victoire de la France sur l'Islande, on entend soudain ça et là :; « Il nous est né un Guillou buteur ! » Car, encore une fois, ceux qui l'ont si longtemps méconnu continuent d'affecter de découvrir l'homme. Jean-Marc est trop gentil, trop réservé pour se mettre en colère, mais cela le fait néanmoins « bouillir » secrètement.

Contre l'Islande, Kovacs, en lui donnant le numéro 10, lui avait confié un rôle particulier. Le Roumain savait que le nouveau Niçois est capable de faire une décision si on est assez sage pour lui laisser la bride sur le coup. Kovacs avait été vivement impressionné par la façon dont Guillou avait amené devant le Real Madrid le deuxième but attribué à Rocheteau et qui était en fait l'œuvre totale de Jean-Marc. Le sélectionneur entendait donc que l'ancien Angevin, contre l'Islande, tente de continuer sur sa lancée. Et Guillou a simplement rempli son contrat en répondant parfaitement à l'attente de Kovacs. Celui-ci attendait de lui qu'il marque. Eh bien Guillou a marqué ! C'est aussi simple que cela.

« Et, disait-il à ceux qui l'interrogeaient après le match, c'est facile de marquer lorsqu'on vous donne de bonnes balles. »

Car, faut-il le dire, Jean-Marc était le premier à ne pas être étonné le moins du monde de ce qu'il avait réussi. Pour lui il n'y avait là rien que de très normal dans la mesure où Kovacs avait demandé à sa « deuxième ligne » de faire à la fois diversion et la différence.

Gulllou est-il donc devenu buteur ? Poser la question parait aussi dépassé que de prétendre — comme l'ont fait ceux qui l'ont découvert à retardement — que Guillou a fait des progrès.

Guillou est resté le même, c'est-à-dire un joueur complet sachant tout faire sans jamais tirer la couverture à lui car il adore le jeu pour le jeu, donc le football collectif et bien élaboré. Mais, lorsqu'il le faut, Guillou se déchaîne, sort de sa coquille, prend tous les risques et va seul jusqu'au bout de son action. A ce moment-là, le demi, dont le rôle est souvent de ratisser les ballons et de les distribuer, devient buteur. Cest dans la pure logique du football.

On a ainsi pu admirer les deux buts que le nouveau Niçois — devenu d'ailleurs le vrai maître à penser de sa nouvelle équipe — a marqué contre l'Islande. On les a admirés, car ils se sont déroulés devant des millions de téléspectateurs et 20.000 spectateurs.

Mais ce n'était pas la première fois que Jean-Marc remettait ainsi les choses au point en deux trois coups de pied prodigieux. En effet, les Angevins se souviennent que Guillou, la saison dernière notamment, a su quelquefois, lorsque cela paraissait vital, se conduire en buteur. C'est ainsi que le public lorientais n'est pas prêt d'oublier ce qu'a réussi Guillou en seizième de finale aller du match de Coupe de France Lorient-Angers alors que, cinq minutes avant la fin, Lorient menait 3-0. En effet, alors que le public commençait à quitter le stade, persuadé qu'il venait d'assister à la plus grande surprise de ce tour de la compétition, Jean-Marc marqua, à la 87e minute, l un but, en fit marquer un autre à son ami — et disciple — Cassan une minute plus tard et lui-même se chargea, à la 90e minute, d'inscrire son deuxième but qui permettait au S.C.O. d'arracher un match nul inespéré et qui fera date dans l'histoire du football français.

D'autre part, en Championnat, alors que l'équipe d'Angers avait été quelque peu démolie avec le départ de Poli et l'éviction de Bourdel, Guillou trouva quand même le moyen de déclencher la foudre par deux fois. D'abord à Lille il marqua d'entrée puis orchestra ensuite le festival angevin en faisant marquer quatre buts à Berdoll. Ensuite, contre Strasbourg, il allait marquer deux buts et, dans ces deux occasions, Angers décrocha le bonus.

Enfin, dans l'équipe de France, la saison dernière contre la R.D.A. au Parc des Princes alors que les Tricolores, assez mal inspirés, étaient menés 2-0, il réussit alors que l'on pensait que tout était terminé, à marquer. Ce but redonna l'espoir aux Français qui arrachèrent finalement le match nul.

Ainsi donc, lorsque l'équipe se cherche, que cela ne va pas exactement comme souhaité, Guillou sort de sa réserve naturelle pour tenter un truc et, en excellent footballeur qu'il est, il le réussit pratiquement à tout coup. Mais cela l'énerve qu'on l'en félicite car il considère ces choses comme fort naturelles. Le tir au but fait aussi partie du bagage des bons footballeurs. Et le Gulllou de mercredi dernier à Nantes ne doit pas être considéré comme un nouveau Guillou, mais bien comme un Guillou tel qu'en lui-même.

Car le vrai buteur, en fait, ce n'est pas tellement celui qui compte ses buts, mais bien celui qui marque des buts qui comptent. Et, sur ce plan, il y a longtemps qu'on peut considérer Jean-Marc comme un buteur. Pourtant le personnage a horreur qu'on lui colle une étiquette. Il ne veut pas entendre dire que c'est un patron alors qu'il est précisément un vrai patron dans le sens que l'entend Kovacs, c'est-à-dire en s'imposant sur le terrain. Et il a aussi horreur qu'on pense que tout d'un coup il est devenu marqueur de buts. Tout le bruit fait soudain autour de lui le crispe quelque peu.

« Il y a bien d'autres joueurs que moi sur lesquels on peut écrire » dit-il souvent comme lassé (et d'ailleurs, lorsqu'on l'ignorait en sélection, il se montrait chagriné de ce que certains fassent du bruit autour de cette sorte de mise à l'index : « Cela me gêne », disait-il). Tout Guillou se trouve résumé dans ces propos.

L'article fait bien sûr référence au match France-Islande de 1975. Merci à France Football pour ce bel article et à cris72 pour le scan.