Le rêve de la Première Division s'est envolé pour Cannes. Enfin presque. Il faudrait un miracle. Et encore. La faute à cette septième défaite concédée samedi à domicile devant Villefranche. Quel affront ! Et les rumeurs de s'amplifier aussitôt : Jean-Marc Guillou ne finira pas l'hiver sur la Croisette...

Jean-Marc Guillou : on aime ou on n'aime pas. On peut discuter. Pourtant, il y a la griffe Guillou, comme il y a la griffe Cardin, Cacharel ou Saint-Laurent.

Ses positions, ses idées n'indiffèrent jamais, dommage que les résultats ne suivent pas toujours.

Guillou à Cannes

Une ombre sur la Croisette

par Gérard ETCHEVERRY

« Jean-Marc Guillou, avant le match de Villefranche, on pourrait peut-être commencer par jeter un coup d'oail sur le baromètre de Cannes : quatre matches sans défaite, c'est presque le beau fixe, non ?

— En apparence, il s'agit, effectivement, d'une série positive, mais à y regarder de plus près, elle n'est pas si satisfaisante que cela, car on est en droit de se demander si on n'a pas laissé échapper un point, il y a dix jours à Angoulême, comme on en avait laissé échapper un — c'est encore plus évident — chez nous face à Libourne, juste avant.

— C'est pourtant la seule éclaircie, jusque-là, cette série ?

— Effectivement, le bilan à mi-Championnat est, je dirai mi-figue, mi-raisin. Il est incontestable que nous pouvons faire beaucoup mieux, mais il convient de juger toujours une situation par rapport à son contexte : or, le moins qu'on puisse dire, c'est que le calendrier ne nous a pas été très favorable, car nous avons été amenés à rencontrer successivement tous les ténors du groupe, chez eux : Montpellier, Lyon, Nice et Marseille ; autant de déplacements qui se sont soldés par des revers, et qui ont fini par créer un choc chez les joueurs, alors que nos défaites tenaient souvent à peu de chose : de Marseille nous pouvions ramener un point, et à Lyon, nous sommes battus sur une erreur de placement...

— Le problème, c'est que l'équipe cannoise a fière allure sur le papier, et que l'on comprend mal qu'elle ne soit que sixième ?

— Vous savez on peut toujours raisonner par rapport à un idéal, c'est-à-dire espérer gagner, par exemple, toutes les rencontres de Championnat, compte tenu de la valeur présumée de l'équipe ; dans cette hypothèse, la moindre défaite sera ressentie comme une déception, mais il s'agit là bien évidemment d'un rêve. Les choses se passent différemment dans la pratique et vous savez, comme moi, que les choses vont très vite en football actuellement : ainsi, Toulouse qui flirtait avec les dernières places il n'y a pas si longtemps encore se retrouve sixième, actuellement ; ainsi, Nantes qui, lui aussi, a effectué une spectaculaire remontée...

Pour notre part, si nous battons Villefranche et si nous allons gagner à Sète, nous pouvons parvenir à la trêve avec un sentiment pas si négatif que cela, et nous pourrons très bien alors repartir de l'avant.

— Vous voulez dire que vous visez encore la montée ?

— Mathématiquement rien n'est, en effet, perdu d'autant plus qu'il serait logique que nous nous montrions plus compétitifs pendant les matches retour puisque l'équipe a été remaniée à cinquante pour cent, et qu'elle doit normalement s'améliorer au fil des matches. En fait, si nous parvenons à ne pas nous démobiliser et à ne pas accumuler les revers, nous pouvons encore espérer disputer les barrages, et qui sait...

— On a envie de dire : que ferait Cannes en Première Division ?

— Ça, c'est un autre problème, que je connais bien, et pour cause. Une montée en Première Division, ça se prépare, la leçon de Mulhouse m'en a plus que convaincu. L'expérience prouve qu'une équipe qui accède à la Première Division sans avoir survolé son Championnat de Deuxième Division aura bien du mal à tenir. Tous les exemples le confirment, et celui de Mulhouse ne fait qu'être noyé dans la masse.

Aussi bien, Cannes ne laissera pas passer sa chance si elle se présente, mais il n'est peut-être pas plus mal, non plus, que nous poursuivions notre travail en profondeur avec notre centre de formation pour nous forger peu à peu des arguments plus solides.

— Justement, quels sont les arguments cannois ?

— Nos arguments, c'est de demeurer dans l'esprit du jeu. De tenter quelque chose. Mais, il se trouve que nous ne réussissons pas toujours soit par manque de réussite, soit par manque de conviction, soit par manque d'enthousiasme aussi.

— L'enthousiasme, c'est-à-dire le « hourra-football » à la Jean-Marc Guillou...

— Oh la ! non, c'est une expression que je n'aime pas.

— Qu'est-ce qu'il faut dire alors ?

— Je préfère qu'on parle de football offensif.

— Expliquez-nous ça, ça doit être passionnant.

— En vérité, il n'y a pas trente-six conceptions du football, il n'y en a que deux. La première, c'est de chercher à marquer des buts. Deux solutions possibles : ou bien profiter d'une faute de l'adversaire, d'un mauvais placement, ou bien la brèche ne paraît pas évidente. Alors, il faut construire pour trouver la brèche, faire tourner le ballon jusqu'à ce qu'on parvienne à trouver l'ouverture.

L'autre conception que l'on trouve aussi en Deuxième Division, ou ailleurs, c'est de limiter les dégâts, pour essayer de ne pas descendre. Ceci est un faux raisonnement car, même si les moyens sont limités, un surcroît d'ambition apportera toujours un surcroît de résultats.

Entre ces deux conceptions, il est bien évident que Cannes a choisi la première car une équipe qui choisit de jouer la montée se doit d'assumer certaines responsabilités avec les risques que cela comporte.

— Et qui fait que Cannes a déjà encaissé trente-deux buts ?

— Oui, mais, là encore, il faut voir le contexte, c'est-à-dire que nous avons rarement pu aligner la même défense.

— N'empêche qu'on va encore dire que les défenses des équipes qu'entraîne Jean-Marc Guillou sont décidément perméables.

— C'est absolument faux, faut-il rappeler qu'avec Neuchâtel, nous étions la meilleure défense du Championnat suisse et le résultat serait probablement identique si j'étais amené à entraîner une équipe comme Barcelone, par exemple.

— Alors, pourquoi tous ces buts ?

— Parce que Cannes est encore fragile en contres. C'est le lot de toutes les équipes qui ont le ballon, qui essaient de porter le ballon dans le camp adverse, mais pas suffisamment pour se faire craindre de l'adversaire, surtout quand l'adversaire joue vite, comme Lyon par exemple, et que nous ne songeons pas à couvrir suffisamment les espaces.

— Y a-t-il un remède à cela ?

— Oui, faire prendre conscience que dans les phases offensives, il y a toujours deux degrés : le premier qui amène la poussée, le second qui se produit quand on perd le ballon.

— La charnière cannoise Casoni-Revelli est composée de joueurs d'expérience, ils doivent connaître tout ça par cœur.

— Ce sont effectivement des joueurs d'expérience mais pour ce qui concerne Patrick, par exemple, son rôle de libero est tout de même tout nouveau pour lui. Son expérience n'étant pas totale, elle ne peut pas toujours être compensée par sa grande malice.

— On dit que Patrick serait passé au travers de certains matches comme à Montpellier ?

— Montpellier a été effectivement son plus mauvais match, mais ce n'est pas lui le responsable de notre défaite. On sentait pertinemment ce jour-là que l'équipe cannoise toute entière n'avait pas les possibilités de faire échec à la Paillade.

— Après la défense, passons à l'attaque cannoise. Comment jugez-vous les grands débuts de N'Diaye ?

— Il a fait un début de saison très satisfaisant en démontrant de grandes qualités techniques, sur lesquelles on misait pour faire bouger les défenses.

Compte tenu de ses énormes possibilités, il est arrivé ensuite qu'il ne se soit pas exprimé aussi complètement qu'on aurait pu le souhaiter. Mais ii faut bien voir que N'Diaye jouait, l'an dernier, en Troisième Division avec Orange, et qu'il y a pour lui une période d'intégration nécessaire à la Deuxième Division, les méthodes d'entraînement n'étant pas forcément les mêmes. De plus, il est étranger.

— Et Thordarsson ?

— Son rôle à lui est fort différent. Il doit aller beaucoup plus au choc, mais je pense que tout comme N'Diaye, il faut se montrer patient à son égard.

— Pourtant, il y a eu des victoires spectaculaires à Grenoble, notamment ?

— 5-1 à Grenoble, c'était effectivement un très bon résultat, mais pas forcément logique, il aurait été par exemple plus logique que nous nous imposions 5-1 à Angoulême.

— Puisqu'on en est à parler des problèmes de réalisme, comment réagissez-vous quand vous entendez dire que le footballeur français n'est pas réaliste ?

— Le footballeur français a souvent la maîtrise du jeu ; si en plus il devait être réaliste, nous serions champions du monde.

Cela étant, il arrive souvent que l'équipe de France marque deux ou trois buts alors qu'elle ne s'est guère plus créé de franches occasions dans un match : ceci prouve que nous savons être aussi réalistes que les autres.

— Laissons l'équipe de France, revenons à la Deuxième Division ; est-elle différente de celle que vous aviez fréquentée avec Mulhouse ?

— Non, elle n'a pas changé en deux ans de temps. Le problème se pose toujours de la même façon : quatre, cinq équipes qui dominent avec lesquelles on peut espérer faire un bon match, et les autres avec lesquelles il faut livrer de véritables matches de Coupe.

— Pourtant, Cannes n'a rien à voir avec Mulhouse, au niveau du public, par exemple ?

— Le public cannois est à l'image de nos résultats : mi-figue, mi-raisin, c'est normal. Mais je ne désespère pas qu'il se montre plus enthousiaste à notre égard. Faut-il rappeler que c'est ce qui a fait la grande force de Mulhouse ; lorsque nous sommes montés nous avions la conviction que nous remporterions les matches de barrages, tant la ferveur populaire était forte. Qui nous dit que Cannes ne connaîtra pas ça un jour, lui aussi... »

Etcheverry, il manque pas d'air quand même à critiquer notre Manouche comme ça. Scandaleux ! Enfin bon, merci à France Football (29 novembre 1983) pour l'article et à Marc M. pour le scan.