JEAN-MARC GUILLOU

L'art d'être grand prêtre

Un reportage de Robert VERGNE

Lorsqu'il fait gris, les ardoises se fondent avec la couleur du ciel jusqu'à prendre le poète en défaut : car le ciel ne semble plus alors par-dessus le toit... Celui qui abrite la famille Guillou n'échappe pas à la règle. Le hameau de Saint-Mélaine-sur-Aubance est aussi calme que les eaux tranquilles qui coulent sous les ponts de Cée.

C'est peut-être l'un des grands secrets de Jean-Marc Guillou, cette ambiance familiale ouatée dans une campagne tranquille.

Mais qui n'explique tout de même pas tout. Ce garçon, qui est monté au firmament du football français semble finalement le seul qui ne soit pas touché par cette ascension fulgurante. Il apparaît plutôt comme le témoin de son aventure. Que les interviewes, les honneurs et les articles dithyrambiques se succèdent à une cadence de plus en plus accélérée ne le troublent ni ne l'influencent.

Même sa pré-sélection dans l'équipe d'Europe qui doit rencontrer l'Amérique du Sud à Rio de Janeiro.

« C'est un honneur que je ne déclinerai pas, bien sûr, mais je préfère disputer un match amical avec le S.C.O. qu'une telle rencontre avec des inconnus ».

Indifférence ? Certainement pas. C'est ainsi, par exemple qu'à Bastia, lors de la première manche des quarts de finale de Coupe de France, il eut des « mots » avec un journaliste insulaire. C'est la première fois que cela lui arrive.

« Il voulait me faire dire le contraire de ce que je pensais. J'étais excédé par ce procédé et je lui ai dit que Bastia avait usurpé son classement.

Un temps de réflexion avant d'ajouter : « Dans le fond, c'est à peu près ce que je pense, alors ce n'est pas grave ».


En plein match, le regard toujours levé ; à tout moment il sait exactement ce qui se passe sur le terrain, il sait ce qu 'il doit faire de son ballon.

GUILLOU ET LE S.C.O. D'ANGERS

C'est bien là un des traits de caractère de Jean-Marc Guillou : ne rien faire ni dire qui soit en contradiction avec lui-même, ses convictions, son mode de pensée. Car, contrairement à bon nombre de ses collègues, Guillou a des idées précises sur le football, l'entrainement, les conceptions de jeu, son club, l'équipe de France. Tout le contraire d'un robot.

« Pour moi, la chute libre du S.C.O. en début de championnat est presque aussi mystérieuse que sa remontée. Bien sûr, il y a quelques faits qui constituent des prémices d'explication, mais sans plus : comme le départ de quatre joueurs remplacés par certains qui n'avaient encore jamais joué en Division 1, ce qui a rendu l'équipe instable. Mais à force de tâtonnements, Gonzalès a tout de même trouvé Citron, Ferri, Janin. Ce fut une contrepartie importante.

— Comment cela s'est-il passé ensuite avec Vasovic ?

— Au début, très mal. Pendant une semaine, je me suis même demandé s'il n'était pas fou. Dans quelle galère je me retrouvais ! Il nous disait par exemple de se « taper devant » ou encore de remonter le terrain façon hollandaise. Qu'est-ce qu'on a pris comme buts. On avait l'impression de ne plus savoir jouer du tout.

— Il semble que ce se soit arrangé depuis...

— Oui et presque à 100%... D'une part parce qu'il ne comprenait pas le Français et de l'autre parce qu'on lui avait donné de mauvais renseignements sur notre compte. Je crois qu'il nous avait pris pour des « tocards »...

— N'est-ce pas le fameux match de Lorient qui a tout déclenché ?

— D'une certaine façon oui, mais Vasovic n'y est pour rien. Au contraire, il nous avait fait jouer pour ne pas perdre, c'est-à-dire pour ne pas gagner. Il était dans l'erreur. C'est du jour où il l'a admis que nous avons retrouvé un certain style et le goût de jouer.

— Vous êtes donc de ceux qui accordent de l'importance aux problèmes tactiques...

— Cela dépend surtout du sens que l'on donne aux mots. Moi, je crois qu'il n'y a pas de tactique dans un match, ou alors plusieurs. Ce qu'il faut surtout, c'est que chaque joueur pense la même chose dans les différentes phases d'un match que ce soit pour attaquer ou pour défendre. Vous les journalistes, je vous ferai le reproche de ne pas insister en général sur l'aspect collectif du jeu.

Ce qui ne signifie pas pour autant que je nie les individualités mais le plus important reste à mes yeux de les amalgamer.

— Puisque toutes les tactiques semblent bonnes à vos veux, que pensez-vous du béton ?

— Je ne suis pas contre à priori. Ce contre quoi je m'élève, c'est l'esprit qui préside à des « zéro a zéro » systématiques.

De toute façon, béton ou pas, la couverture est une idée collective avec, si possible, une relance précise parce que le jeu part de derrière.

Pour en revenir au S.C.O, l'ambiance a toujours été bonne entre nous mais il s'agissait d'une faillite collective.

GUILLOU ET LE FOOTBALL

— L'entraîneur peut donc avoir à vos yeux une grande part de responsabilités sur le rendement d'une équipe dans un sens comme dans l'autre ?...

— Evidemment. Mais un entraîneur doit se rendre compte qu'il ne peut pas faire jouer les joueurs contre leur nature. Car alors, tout le monde court à la catastrophe.

— Comment voyez-vous les choses, disons globalement ?...

— Je crois en gros qu'il faut faire courir le ballon, mais parfois aussi le conserver, c'est affaire de circonstances de jeu, mais il faut bouger.

Avoir l'initiative, c'est avoir le ballon. Après, il n'y a plus guère de mystère. Je crois également que beaucoup de joueurs sont capables de bien jouer surtout dans la mesure où ils connaissent leurs limites.

Nous avons basé notre entraînement sur des petits matches disputés à sept contre cinq. Ces cinq là ne doivent pas pouvoir toucher le ballon et sortir crevés du terrain. Ou alors c'est grave.

— Et vous êtes certain d'avoir raison...

— Je crois simplement à ce que je dis et à ce que je fais ; mais je ne prétends pas pour autant détenir la vérité. D'ailleurs, nous, les joueurs, on est mal placés pour juger, ne serait-ce que parce qu'on ne se voit pas ; il manque donc au moins un élément d'appréciation.

Et puis, le problème d'une équipe qui joue mal est toujours très délicat à résoudre. On prétend par exemple que certaines équipes possèdent un style de jeu et que d'autres n'en ont pas. Moi je crois que toutes les équipes peuvent bien jouer. J'ai vu faire de très bonnes choses à Bordeaux, au Red-Star ou à Strasbourg, équipes qui n'ont pas une grande réputation. Pourquoi attacher aux équipes une étiquette immuable ?

— Pourtant à propos de Bastia...

— C'est surtout l'environnement qui ne me semble pas sain. On dit que le stade Furiani est un atout pour les Bastiais ; eh bien, je pense tout le contraire car on ne construit pas sans un minimum de sérénité ».

Voilà encore un des maître-mots de Guillou. Pour lui, on ne peut pas bien jouer au football sans calme.

GUILLOU ET L'EQUIPE DE FRANCE

— Savez-vous que vous avez été critiqué au sein même de l'équipe de France ? Certains joueurs vous ont reproché de ne pas donner le ballon assez rapidement.

— C'est bien possible et c'est peut-être vrai. Mais lorsqu'on ne donne pas le ballon, cela peut également vouloir dire qu'on a jugé plus utile de le garder par rapport à la situation du moment. Et puis, lorsqu'on le donne à l'un, cela peut mécontenter l'autre. Je crois que l'un des problèmes les plus difficiles à résoudre au sein d'une sélection nationale, c'est précisément le jeu sans ballon. C'est je crois pour l'essentiel une question de participation.

— Vous semblez plutôt critique envers l'équipe de France. Pourriez-vous préciser votre pensée en la matière ?...

— Je reproche surtout à l'équipe de France... de ne pas être une équipe. Voyez-vous, on ne se sent pas vivre vraiment au sein d'une communauté. Tout n'est qu'apparence, ce n'est pas solide ; tout peut être remis en question, même après une victoire.

— L'ambiance est-elle mauvaise ?

— Non pas précisément, elle est neutre.

— Peut-on en conclure que vous vous passeriez volontiers de cette distinction qui ressemble de plus en plus, pour certains, à une corvée ?

— Non, ce ne serait pas juste : pour moi, l'équipe de France est un honneur mais ce n'est pas une joie.

— Et si on vous demandait votre avis pour améliorer cette équipe, disons sur le plan des relations, c'est-à-dire de l'ambiance, que répondriez-vous ?

— Que ce n'est pas mon affaire puisqu'on a l'habitude dans le football français depuis des générations de ne jamais consulter les joueurs sur les problèmes qui les concernent pourtant au premier chef.

Cependant et uniquement pour vous être agréable, acceptons le jeu pour quelques instants.

Je crois d'abord que le responsable de l'équipe de France, quel qu'il soit, devrait éviter ce que j'appellerai les « sélections-conglomérat », c'est-à-dire une mosaïque de joueurs, même s'ils sont réputés les meilleurs à leur poste au profit d'une sélection à base de club qui fournirait l'ossature. Ce n'est d'ailleurs pas une trouvaille car je crois que c'est l'objectif de tous les sélectionneurs de tous les pays depuis longtemps. Les seuls véritables exploits de l'équipe de France depuis toujours ont été je crois accomplis lorsque Reims fournissait alors l'essentiel de l'équipe.

— Ce qui impliquerait aujourd'hui de retenir un grand nombre de Stéphanois, même s'ils ne sont pas individuellement les meilleurs a leur poste respectif ?

— Oui, bien sûr. D'autant que je reproche au football et à ceux qui s'en occupent, y compris les journalistes, de ne pas mettre suffisamment l'accent sur les problèmes d'ordre collectif.

— Même si Jean-Marc Guillou devait être la victime de cette politique de « groupe »...

— Bien sûr, cela va de soi mais ce n'est pas le plus important à mes veux. En outre, et pour répondre totalement à votre question initiale, je crois qu'il conviendrait d'emmener cette équipe en tournées et l'opposer de préférence à de fortes équipes.

Car je crois qu'il est nécessaire que les gars se connaissent beaucoup mieux qu'actuellement et pour cela, il faut qu'ils gagnent, perdent, rient et souffrent ensemble ».

GUILLOU ET L'AVENIR

Si les idées sont précises, en revanche l'avenir l'est beaucoup moins. Toujours ce sacré transfert dont on n'a pas fini de parler.

Mais qui n'est toujours pas fait.

« Nice, Marseille, Nantes, Bordeaux m'ont demandé sans oublier Paris Saint-Germain, mais il y a toujours cette clause selon laquelle je n'aurais pas le droit d'y jouer avant deux ans. Sera-t-elle levée ? Je n'en sais rien car on ne m'a rien dit officiellement.

— Mais vous, quelles sont vos préférences personnelles ? Y-a-t-il des équipes au sein desquelles vous préféreriez jouer ?

— Pas spécialement, sauf Bastia, mais pas pour les raisons que j'ai indiquées précédemment : parce que, à Bastia, on est obligé de prendre constamment l'avion et je n'aime pas beaucoup ce type de transport.

— Et... Angers ?

— Il n'est pas question que je reste au S.C.O. pour différentes raisons. De toutes façons, nos valises seront prêtes le 1er juillet ».

En somme, il ne restera plus qu'à mettre les étiquettes...

Pour ce qui nous concerne, répétons que depuis bientôt trente ans que nous sommes au contact de ce milieu du football français, nous n'avons rencontré que deux ou trois joueurs du « calibre » de Jean-Marc Guiilou. Pas seulement à cause de cette technique inégalable dans l'hexagone et que beaucoup d'internationaux étrangers lui envient, mais aussi parce qu'il se conduit en adulte avec tout ce que cela suppose de prise de conscience et de responsabilité dans son métier.

Les honneurs présents qui en accableraient tant d'autres ne le touchent pas davantage que l'ignorance des officiels envers lui, il n'y a pas si longtemps. Il n'a même pas à pardonner puisqu'il n'a jamais ressenti le moindre ressentiment envers quiconque.

Et il n'a pas à remercier non plus puisqu'il n'a jamais rien demandé.

Un personnage, on en conviendra, mais également un athlète exceptionnel puisqu'en dix ans de football de haut niveau, il n'a jamais été blessé.

Sûr que le club qui l'enrôlera en aura pour son argent. Même si le montant de son transfert pulvérise tous les records...

Robert VERGNE.


Comme Candide, il sait aussi cultiver son jardin.


De Saint-Mélaine~sur-Aubance à Angers, il fait souvent la route à bicyclette.


Jean-Marc avec sa femme prend connaissance de la presse. Dans un coin du salon, près de la bibliothèque, une guitare qu'il aime « gratter ».

Merci à Football Magazine (mai 75) pour l'article et à Rodighiero pour les scans.