Marc Berdoll « loin des yeux loin du cœur » ?

Marc Berdoll a 23 ans. Il aura 24 ans le 6 avril prochain. Cet avant-centre d'1,75 m pour 71 kg, rapide, a beaucoup de talent, Stefan Kovacs lui avait fait confiance à cinq reprises en équipe de France.

On le comparait, et on le compare encore, à Lacombe.

Aujourd'hui, il joue dans le difficile championnat ouest-allemand de la Bundesliga, à Sarrebrück, à quelques kilomètres de sa nouvelle résidence de Sarreguemines.

Et Marc Berdoll ne défraie plus la chronique. « Loin des yeux, loin du cœur » dit-il. La classe de cet homme sensible et attachant reste entière. Il nous a semblé intéressant de faire le point avec le seul joueur français de haut niveau à opérer à l'étranger.

— Vous n'aviez connu qu'Angers comme joueur professionnel ; au moment où l'équipe angevine est remontée en 1ère division, vous partez à Sarrebrück, en Allemagne. Comment votre transfert s'est-il réalisé ?

— Mon départ d'Angers et ma brouille avec le président Keller, c'est toute uns histoire. Je ne voulais plus entendre parler de cet homme. Cela s'est passé en fin de saison, à Nevers. Angers avait 7 points d'avance et était sûr de remonter on première division. Nous avons mal joué à Nevers et le repas d'après-match avec les Nivernais était monotone et triste. J'avais écopé d'un avertissement et j'en discutais avec le directeur sportif. Le président s'est interposé puis son gendre. J'ai été traité de bien des noms, puis prié d'aller me coucher. C'était terminé avec Angers... Je ne voulais plus entendre parler d'un président pareil.

Depuis mon départ, j'ai revu M. Keller... et il a été très différent avec moi, très gentil même.

Au début de mes vacances en juin, j'ai quitté Angers pour me rendre à Sarreguemines, chez mes beaux-parents. C'est là, à quelques kilomètres de Sarrebrück que j'ai appris mon transfert. Je n'étais pas au courant...

— Vous n'étiez pas au courant ? Pourquoi ? Et on avait parlé de vous à Saint-Etienne, pourquoi ce transfert ne s'est-il pas réalisé ?

— Je n'étais pas au courant parce que j'étais encore sous contrat pour un an avec Angers. C'est donc Angers qui recevait les propositions. Angers a peut-être été contacté par Saint-Etienne, mais je ne le sais pas...

— Jouer à Sarrebrück, en Allemagne, habiter à Sarreguemines, en France, n'est-ce pas un handicap ?

— Non au contraire, c'est le club de Sarrebrück aqui m'a proposé de vivre en France. Là, j'étais dans ma famille, dans celle de ma femme, plus précisément. J'ai donc un environnement favorable.

— Le SCOA représentait beaucoup de choses pour vous ? Le suivez-vous de près ?

— Oui, le SCOA compte beaucoup pour moi. Je suis natif de la région d'Angers et je suis venu au club à 17 ans et j'y ai signé un contrat professionnel à 18 ans.

Je suis la carrière d'Angers de près, mais aussi tout le football français. Les dirigeants d'Angers peuvent remercier Mignot. Barthélémy est très bon. D'ailleurs il a marqué 11 buts ! Avec Lech, Edwige et Cassan, c'est agréable de jouer.

— Avez-vous été déçu de ne pas avoir de propositions de clubs français et de ne pas rester en France ? Avez-vous été aigri ?

—Oui, j'aurais préféré rester en France. Mais il y a eu une question financière car Sarrebrück a proposé 80 millions d'A.F. à Angers. Peu de clubs français voulaient ou pouvaient s'aligner.

[...]chaine ! A Metz, peut-être, puisque je suis installé à Sarreguemines.

Au début, cette situation d'exilé m'a ennuyé.

— Pourquoi Metz ?

— Le FC Metz est une bonne équipe, avec de bons joueurs et l'ambiance y est excellente. Et l'entraîneur, M. Huart est un homme très bien.

— Il y a quelques temps, Sarrebrück vous aurait laissé partir. Quelques clubs ont fait des offres, Troyes, Rouen, Strasbourg. Pourquoi ne pas avoir accepté ?

— Je venais tout juste de trouver une maison à acheter et ma femme était enceinte, je n'ai pas voulu tout bouleverser du jour au lendemain.

LE FOOTBALL ALLEMAND

— Si c'était à refaire ?

Ah, non ! Je ne le referais pas, je resterais en France.

— Quels obstacles avez-vous à surmonter à Sarrebrück ? Celui de la langue ?

— Non, je suis des cours pour apprendre l'allemand. Le plus gros problème c'est qu'à Sarrebrück, il n'y a pas de joueurs au-dessus du lot, ni un véritable patron. Et puis, maintenant le problème de l'entraîneur est réglé.

— Quelles sont les différences entre le football allemand et le football français ?

— Le foot allemand est plus physique. Il est dur sur l'homme. Il n'a pas beaucoup de technique, mis à part les grands clubs, comme le Bayern, Cologne, Moenchengladbach. On lance le ballon devant et on court. Et puis on pratique le marquage individuel. Si on tombe sur un libéro qui bouge beaucoup, on court pendant tout le match et on s'épuise surtout face à de solides gaillards. On ne voit pas les ballons de la tête. Pour un avant-contre, il n'y a pas d'ailiers et pasde milieu de terrain. On s'épuise.

— Et l'arbitrage ! Et l'entraînement ?

Il est le même qu'en France. Il y a de bons et de mauvais arbitres, comme les joueurs ! Quant a l'entraînement, il est deux fois plus dur ! Il est toujours physique même avec le ballon.

— Etes-vous connu en Allemagne ?

— Je ne sais pas. D'une part, je ne lis pas les journaux allemands, d'autre part, je vais rarement en ville, à Sarrebrück.

— Vous êtes-vous lié à des joueurs allemands ?

— Je ne suis pas lié aux Allemands, la mentalité n'est pasla même. Et l'ambiance n'est pas la même qu'à Angers. Je me suis plus lié à Acimovic. On a les mêmes problèmes. Et puis c'est le seul à parler français.

— Comment jugez-vous l'équipe d'Allemagne ? Ses chances pour la prochaine coupe du Monde ?

— Je l'ai vu jouer contre la Tchécoslovaquie. J'ai trouvé les joueurs moins impressionnants qu'en 1974. Ils commencent à se faire vieux !

— Etes-vous satisfait de votre saison, malgré tout ?

— Non. Je n'ai marqué qu'un seul but et j'ai eu des problèmes avec l'entraîneur, alors je ne peux pas être satisfait.

— Le fait de vous retrouver sur la touche vous a-t-il traumatisé ?

— Non, car je n'avais pas pu jouer des matches de préparation. Puis j'ai été blessé. L'entraîneur doit juger si on est en forme ou non. Si on ne l'est pas, on ne joue pas et on s'accroche.

— Problème avec Vasovic à Angers, puis avec Cendic à Sarrebrück. Que pensez-vous de la situation de l'entraîneur, tel que les dirigeants la voient ?

— Les dirigeants poussent l'entraîneur. Ce nest pas lui le responsable, il doit pouvoir décider seul. Que les dirigeants gèrent, que l'entraîneur juge de la qualité du joueur. Et l'entraîneur doit voir ce qui manque aux joueurs et ce qu'ils doivent faire à l'entraînement. On doit personnaliser l'entraînement. C'est ce que fait Kraft à Sarrebrück et Huart à Metz.

— Alors serez-vous entraîneur ?

— Non je ne veux pas être entraîneur professionnel, c'est trop ingrat. Je n'ai pas encore tellement pensé à ma reconversion, j'aimerais rester dans le milieu du football.

UN BUTEUR INTERNATIONAL

— Vous sentez-vous à l'aise dans le milieu du football professionnel ?

— Oui. Très à l'aise.

— Vous jouez en Allemagne. En France on va chercher les avants-centre à l'étranger. Qu'en pensez-vous ?

— C'est totalement anormal !

— Bianchi a dit qu'il y avait de bons avants-centre en France. Lacombe, Coste... et Berdoll, mais que vous n'avez pas été assez éduqués dès votre plus jeune âge. Qu'en pensez-vous ?

— C'est peut-être vrai... Quand je suis arrivé à Angers, je marquais des buts, on ne m'a rien appris d'autre. On s'occupait de toute l'équipe à la fois. Maintenant c'est différent avec les écoles, comme à Saint-Etienne.

— C'est le procès de l'absence du sport à l'école ?

— Ce n'est pas normal la situation du sport à l'école. J'en ai souffert comme tous les professionels.

— Comment devient-on buteur ? Comment le reste-t-on ? Que préférez-vous, marquer ou faire marquer des buts ? Que représente un but pour vous ?

— C'est difficile à dire. Pour moi, je suis devenu avant-centre par hasard. Je jouais gardien de but, comme mon père, à Trélazé. Puis, un jour, l'avant-centre s'est blessé. Il a joué gardien et j'ai pris sa place. C'est en minime. J'ai marqué 3 ou 4 buts. J'ai continué depuis ce jour-là.

Je n'ai rien appris de spécial jusqu'au Bataillon de Joinville avec M. Troupel. C'est là que j'ai fait le plus de progrès. J'étais avec Bertrand-Demanes, Bracci, Loeoz, Domenech, Chiesa. C'était agréable. Comme tous les buteurs, j'aime marquer des buts, mais faire marquer, ce n'est pas désagréable non plus.

Un but, c'est pour faire gagner l'équipe, pour la joie de toute l'équipe. Chacun a son travail, mais ça procure une grande joie.

On reste un buteur en travaillant.

— Avez-vous comptabilisé vos buts ? Quel est celui qui vous a le plus marqué et le plus beau ?

— Ce n'est pas un souci pour moi. Je me rappelle seulement des trois dernières saisons. En 73-74, j'ai marqué 29 buts, j'étais second derrière Bianchi. Ensuite, j'en ai marqué 18, puis 25 en 2e division.

Deux souvenirs m'ont marqué. Quand Angers a battu Saint-Etienne 4-1 et que j'ai marqué les quatre buts. Puis mon premier match en équipe de France contre la Grèce en 1973. J'ai touché deux ballons après avoir joué peut-être vingt minutes. La première fois, j'ai marqué le but et la seconde, je l'ai pris sous le bras et je l'ai ramené à la maison. C'était le jour du mariage de mon cousin et... je n'ai pas fait la noce !

— Quels sont les buteurs qui vous ont impressionné ?

— Skoblar et Keita.

— Avez-vous des trucs pour déjouer l'adversaire ?

— Non. Ca vient par rapport à l'adversaire et de notre position respective.

— Un contrat pro à 18 ans, est-ce impressionnant ?

—Je n'ai pas tellement réalisé, je jouais pour m'amuser. Et je continue.

— L'argent ne compte pas beaucoup pour vous ?

— Oui et non. Sans argent, on ne peut pas vivre. Je fais du football pour jouer, pour m'amuser. L'argent vient après.

— Comment vivez-vous ici ? Quelle est votre distraction favorite. Aimez-vous d'autres sports ?

— Pour moi, la famille compte beaucoup. Elle équilibre la vie. C'est ma distraction préférée. La pêche vient ensuite. La musique moderne, la musique pop surtout, également.

Et puis, j'ai mon travail dans ma nouvelle maison. Mais je n'aime pas d'autres sports.

ET L'EQUIPE DE FRANCE ?

— Le football français se retourne vers l'offensive et l'équipe de France est bien partie pour se qualifier en Coupe du Monde. Qu'en pensez-vous ?

— C'est formidable. J'ai vu les matches de la France à la télévision. On sent que tous les joueurs ont envie de jouer pour l'équipe. Elle doit se qualifier haut la main.

— Espérez-vous jouer la Coupe du Monde ? Avez-vous des contacts avec Michel Hidalgo ?

— Oui. C'est pourquoi je voudrais revenir en France. Car on dit : « Loin des yeux, loin du cœur ». Je n 'ai pas de contact avec M. Hidalgo. La fédération ne voulait pas me donner ma lettre de sortie pour jouer à Sarrebrück. Elle voulait que je sois libre pour les stages et les matches. Ça s'est arrangé. C'est peut-être un signe.

Aller en Argentine ? C'est le vœux de tout footballeur. Pour moi, on ne peut rien dire encore.

— Vous avez été sélectionné par Stefan Kovacs. Qu'en pensez-vous ?

— Il n'a pas apporté grand chose au football français... Peut-être au niveau des jeunes... Il a sorti des jeunes et il m'a donné ma chance !

— Vous avez joué à Angers avec Guillou, Son expérience vous intéresse-t-elle ?

— J'ai vu Metz-Nice. Quand j'ai appris qu'il devenait entraîneur, je n'ai pas compris pourquoi. C'était un joueur tranquille qui faisait bien son travail. A Metz, je ne l'ai pas reconnu sur le terrain. Il commandait, il pariait, il criait.

Pour l'équipe, il doit apporter beaucoup car c'est le meilleur joueur en France.

Contre Metz, Nice a toujours eu le ballon. Et si à la mi-temps, Nice avait mené 3-0, le résultat aurait été logique.

C'est agréable de jouer avec lui.

Ainsi parla Marc Berdoll. Un footballeur, un homme attachant. Un joueur qu'on veut revoir vite, très vite, dans une équipe où ses qualités pourront s'exprimer.

Il serait incroyable qu'un des meilleurs buteurs ne participe pas au renouveau du football français.

Metz l'intéresserait.. Alors ? Eh bien ! Attendons.

Interview recueillie par Michel DIARD.

Merci à Miroir du Football (automne 1976) pour l'article et à cris72 pour les scans.