Berdoll : le but de la saison

« Pour acheter un joueur, dit Marc Berdoll, il faut quand même l'avoir vu jouer. »

Or, à la mi-juin 1977, Sarrebruck avance des chiffres. Tout de suite, sans discuter ni marchander. Un pont d'or ? Pas tout à fait ; ce n'est pas Cruyff qu'on transfère. Mais tout de même, Berdoll n'est jamais parti sur de telles bases : 90 millions de centimes pour racheter le contrat à Angers ; un salaire mensuel de 15.000 marks qui ne comprend pas les primes de match ; 12.000 marks pour une victoire normale, 2.000 pour un exploit, le Bayern par exemple.

Berdoll, surpris, demande quelques jours de réflexion. Il est en famille à Sarreguemines. Son beau-père, qui parle allemand, va faire la règle de trois et une conversion en francs au taux de 1,87 le mark. Le magot sera vite empoché. Depuis plusieurs semaines, il y a du tirage entre Berdoll et Angers. Et puis l'avant-centre « voulait faire un contrat depuis deux ans ». Enfin, « ce n'était pas à Angers que j'aurais pu faire une Coupe d'Europe ».

Passés les matches d'entraînement, quelques buts et des débuts prometteurs, il s'apercevra vite que Sarrebruck n'est pas précisément le club à alimenter des rêves de puissance. L'équipe, qui vient de remonter en Première Division, perd des matches à la chaîne. L'entraîneur Cendic se donne des allures de père fouettard. A l'entraînement, les gars se parlent à voix basse quand il a le dos tourné.

Mais son travail de la saison précédente lui a donné un capital de confiance auprès du président du club, Herr Vaterrod. Berdoll ? Il n'en connaît que ses performances et « ses vingt-six buts de la saison précédente » ; il n'attend rien d'autre que des buts. Toujours et encore. Un par match au moins.

« Un avant-centre qui ne marque pas est un mauvais avant-centre. Berdoll n'est pas assez dangereux. Ce n'est pas encore un adulte sur le plan musculaire. Il progressera sans doute, mais je n'ai pas ie temps d'attendre. L'équipe non plus. »

Dès le mois d'août, Berdoll est sorti du terrain contre Bochum, à la cinquantième minute. Pourquoi ?

« Je ne l'ai jamais su, dit Berdoll. Mais je ne l'ai jamais demandé. »

Comment le pourrait-il ? Il parle par gestes. Un seul joueur de l'équipe parle le français. Les autres l'ignorent dans la vie et sur le terrain.

« Ce jour-là, j'avais eu cinq ballons en cinquante minutes. Mon remplaçant en avait eu cinquante. »

« Il doit apprendre la langue, dit l'entraîneur. Je ne lui demande pas de faire des discours, mais de comprendre les ordres.

Apprend-t-il ?

« J'ai travaillé deux fois par semaine avec un oncle à Sarreguemines. Quand j'ai vu que ça ne servait à rien, j'ai tout arrêté. »

Il arrête net : coupant court à toute communication. Lors des déplacements il se terre au fond du car. A Dortmund, il y fume en cachette, l'été dernier, pour fêter l'unique but de sa saison en Allemagne.

Il « voudrait bien jouer aux cartes ». Les résultats y sont-ils pour quelque chose ? « Il n'y a pas d'ambiance, les gars bouquinent dans leurs piaules. » Lui, il branche la télé, et regarde, sans rien y comprendre.

En novembre, iI prend quelques jours de congé pour faire son déménagement d'Angers à Sarreguemines. L'entraîneur Cendic est renvoyé dans l'intervalle. Son remplaçant est un Allemand, Kraft, qui arrive avec deux joueurs, dont, Stegmayer, un avant-centre... Berdoll devient un 12e homme cher payé dans la Bundesliga. En fait, il ne partage la vie de l'équipe que lors des déplacements. En semaine il rentre chez lui à Sarreguemines après les entraînements.

A-t-il dîné chez l'un quelconque de ses co-équipiers ? Pas une seule fois. Un des plus grands avocats de la ville, ami du président, l'a invité. Ils se sont retrouvés, à deux couples, au milieu de sept ou huit hommes avec un sentiment de malaise.

« On est monté dans des soupentes, je trouvais ça drôle. Les mecs se sont mis à vider des canettes de bière. Deux heures après, ils nous ont servis du boudin noir et des patates. A dix heures j'étais foutu le camp. »

Une fois dans les vestiaires sa femme a servi d'interprète pour crever l'abcès. Ça n'a rien changé. En février, Markovic a traité le rachat du contrat de deux ans. 60 millions de centimes. « A la fin, ils ne me demandaient même plus de venir aux matches. J'allais aux entraînements. »

- Vous pouvez me dire une phrase en allemand ?

- Non. J'ai tout oublié.

- Si on vous propose un nouveau contrat à l'étranger ?

- Je leur dis merde. A moins que ce soit la Suisse ou le Luxembourg... pour la langue !


Merci à L'Equipe pour l'article.