La gloire de Robert Devis : Pourquoi vient-elle si tard ?

La gloire a de ces coquetteries... Voilà qu'elle s'aperçoit de l'existence d'un dénommé Robert Devis, gardien de but de profession et agent immobilier aux rares moments où le football est absent de son emploi du temps.

Pourquoi vient-elle si tard ? On s'interroge. L'étonnante qualité de ce garçon de vingt-sept ans n'est pas le fait d'une progression laborieuse : il n'est que de le regarder bondir sur un ballon pour comprendre que sa souplesse de chat et sa vivacité de réflexes peu banale sont les caractéristiques naturelles du personnage. L'instinct est sa force principale.

Celui qu'on découvre maintenant n'est jamais que le footballeur de l'équipe amateurs d'Angers, enrichi certes d'un peu d'expérience, mais surtout placé en position de se faire connaître. Sans la retraite de Fragassi (les beaux restes de ce dernier ne justifiaient peut-être pas tout à fait qu'on ignorât à ce point les promesses données par son remplaçant), Devis serait sans doute bien loin de défrayer l'actualité. On juge vite, et souvent mal, en football ; chaudement recommandé par Lemaitre, l'ex-joueur du Racing opérant alors à Valenciennes, Devis s'en alla, il y a quelques années, jouer un match d'essai dans cette dernière localité. On considéra que sa production avait été assez moyenne, et c'est ainsi qu'il vint s'installer à Angers après avoir longtemps opéré en Division d'Honneur (à Mayenne d'abord, à Saint-Nazaire ensuite).

Le tournant de sa carrière se situa en fin de saison 1958 : Angers s'en allait rencontrer Nice, alors leader du championnat. Vainqueurs par 3-0, les visiteurs prirent conscience que le gardien remplaçant, auquel on avait fait confiance, était digne de faire un authentique titulaire.

Et c'est ainsi que Devis, père de trois enfants, prit enfin conscience que le professionalisme pouvait remplacer avantageusement la serrurerie, son premier métier. Il ne regrettait plus d'avoir choisi le poste de gardien de but de préférence à celui d'avant-centre (dans sa prime jeunesse, il joua alternativement avant-centre avec l'éguipe de son centre d'apprentissage, et gardien de but avec l'équipe Cadet de l'A.S. Mayennaise).

En dépit d'une grave blessure à l'omoplate consécutive à un coup de pied du Montpelliérain Aubert (en Coupe Drago en 1958), qui d'ailleurs ne s'excusa jamais (« c'est pourquoi, en définitive, cet accident constitue mon plus mauvais souvenir », dit-il). Devis ne cesse pas de s'affirmer depuis déjà deux ans. Au point que les sélectionneurs ont fini par le remarquer (à l'occasion du dernier France-Bulgarie).

Mais, en définitive, sa valeur se voit surtout consacrée par cette petite phrase de Raymond Kopa : « La chance a certes souri à Devis. Mais elle a bien fait... »

Gérard EDELSTEIN.

Merci à France Football (07-02-1961) pour l'article et à herve62 pour le scan.