Rétroscopie

Pour que les gosses rêvent encore

A chaque parution de « Je suis SCO », nous tenterons de vous faire revivre quelques-unes des plus belles heures du club angevin. Nous commencerons la semaine prochaine avec le titre de champion de France amateurs remporté par le SCO il y a tout juste cinquante ans : mais avant d'évoquer la carrière des joueurs que nous avons aimés, plongeons-nous dans l'ambiance qui régnait autrefois à Jean-Bouin. Chez les gamins notamment.


20 septembre 1972 : pourtant mené 2-0 à la mi-temps, le SCO va prendre la tête du championnat grâce à une victoire chez le leader niçois. Au bar « L'Espadon », on explose à l'annonce du troisième but angevin.

Au tout début des années soixante-dix, les trois quarts des gamins qui venaient voir le SCO à Jean-Bouin étaient des habitués — non pas de la butte qui n'existait pas encore — mais des « populaires » qui se situaient au même endroit. Comme nous n'étions pas, ou pratiquement pas, surélevés par rapport au terrain, la visibilité en souffrait considérablement, d'autant que la piste d'athlétisme nous éloignait encore un peu plus de nos joueurs favoris.

Simplement on venait là parce qu'on savait pertinemment qu'il était plus facile d'entrer gratuitement par les populaires grâce à la complicité tacite et au sourire compréhensif d'un contrôleur de chez Hardouin qui nous laissait tricher grossièrement sur notre âge véritable.

Après être entré dans l'enceinte du stade, la première préoccupation était bien souvent de tenter de s'approprier le tableau d'affichage (il était manuel à l'époque). En cas de succès c'était donc avec la plus grande fierté et le sentiment qu'on était devenu indispensable au bon déroulement de la partie que l'on faisait évoluer le score sous le regard forcément admiratif de milliers de spectateurs. Pour nous il n'y avait pas de doute : la validation d'un but ne pouvait être effective sans notre accord. Quand le SCO en encaissait un, on avait donc tendance à traîner la patte au moment d'officialiser la nouvelle. Par contre quand c'était le SCO qui marquait, la précipitation était de règle et on tâchait de faire un beau sourire car on savait que « Maine-Anjou-Touraine » (les actualités régionales de l'époque) allait immortaliser la scène.

Le bonheur de les voir de près

Malheureusement, on avait beau se pointer au stade trois minutes après l'ouverture des portes, neuf fois sur dix la place (le trône plutôt...) était déjà occupée au moment de notre arrivée.

Alors, en guise de consolation, on cherchait à se mettre le plus près possible de l'endroit où s'entraînaient les joueurs du SCO pour le simple plaisir de « les voir de près » fût-ce derrière ce maudit grillage qui constituait entre eux et nous une barrière infranchissable.

Avec des yeux émerveillés on les voyait réaliser des prouesses techniques invraisemblables (il est vrai que les échauffements d'avant-match étaient bien moins physiques qu'aujourd'hui) qu'avec nos pieds maladroits on essayait de reproduire en arrivant à la maison. Nos échecs répétés nous contrariaient mais n'ébranlaient pas vraiment notre certitude de devenir un jour footballeur professionnel au SCO d'Angers.

Pas de titre... Et pourtant...

On avait pour les joueurs angevins une admiration mêlée de respect eu égard à la qualité de football qu'ils pratiquaient. Pourtant à l'heure des bilans le palmarès scoïste est resté quasi vierge. Pas de titre, pas de coupe (une raclée en finale contre Toulouse en 1957), une éphémère participation à la coupe UEFA en 1972. Bref, pas de quoi fouetter un chat ni marquer les esprits.

Rien ou presque rien... Si ce n'est peut-être l'essentiel : à savoir un football intelligent, créatif, offensif, reposant sur la virtuosité des joueurs et contrastant singulièrement avec le réalisme, la tristesse et la rigueur du football français de l'époque (celle de Georges Boulogne).

Et puis on avait Guillou dont le talent éclaboussait Jean-Bouin mais dont Boulogne ne voulait pas entendre parier. François Thébaud, une référence dans le journalisme sportif, avait coutume de dire que le bon joueur « c'est celui qui fait la passe qu'il faut au partenaire qu'il faut et au moment où il le faut », mais que le joueur génial « c'est celui qui fait la passe que personne n'attend... sauf celui qui va recevoir la balle ! ». On était convaincu que Guillou (dribbleur d'origine pourtant) appartenait plutôt à la seconde catégorie. Jean-Marc Guillou, joueur marginal au service d'une équipe marginale auprès de supporters qui par souci d'identification sans doute se rêvaient parfois marginaux eux aussi.

Pas de palmarès donc... Mais des souvenirs à la pelle. Comment oublier cette interview de Lucien Leduc il y a quelques années où l'ancien entraîneur du SCO comparait l'équipe de Monaco avec laquelle il fut champion de France en 1978 avec celle du SCO avec laquelle il ne gagna rien d'autre que du plaisir peu de temps auparavant. Dans des termes que le temps nous a fait oublier mais avec un esprit que nous ne dénaturons pas, le père Leduc y affirmait qu'il existait vraiment une différence de niveau entre le collectif angevin talentueux à souhait et celui des Monégasques pourtant titrés.

C'était comme cela ; les Angevins, nonchalance et douceur obligent, avaient sans doute les défauts de leurs qualités. Tant pis, à défaut de palmarès il reste des images : le SCO qui prend la tête du championnat en 1972 à Nice grâce à une victoire 4-2 dont trois buts d'Edwige. « Ce jour-là, nous avait dit en 1989 Ladislas Nagy, l'entraîneur de l'époque malheureusement décédé depuis, on s'est retrouvé mené 2-0 rapidement et j'ai vraiment pensé qu'on allait prendre un carton. Puis on a joué sur un nuage de manière incroyable ». Ce jour-là, nous fûmes quelques-uns, l'oreille collée au transistor, à avoir bondi au plafond à l'annonce du troisième but du Sco.

Guillou et les autres

Et d'autres souvenirs encore : les louanges dressées tous les mois par le pourtant très exigeant « Miroir du football », le marquage de Perreau sur Magnusson en demi-finale de la coupe, les quatre buts de Berdoll contre le grand St-Etienne, les 128 buts en D2 en 1969, le titre symbolique de champion d'automne en 1973. Mais surtout, surtout, une qualité de jeu inégalable qui nous rendait fiers non pas vraiment d'être Angevins (l'esprit de clocher ça vient beaucoup plus tard), mais plutôt de supporter une équipe un petit peu différente de toutes les autres. Tiens ! Encore un souvenir très ponctuel : c'est Guillou qui dribble presque tout le monde et qui offre à Edwige le quatrième but d'une victoire 6-1 sur le Troyes de Pierre Flamion. Ah, là, là ! Et dire qu'il n'était pas en équipe de France !

Et puis vint l'année de tous les dangers, l'année 1975. L'enfance qui s'enfuit, Guillou qui est transféré à Nice et le SCO qui descend en Division 2. Bref... Trois catastrophes la même année dont les deux premières au moins étaient irréversibles. Heureusement restait la troisième. L'autre soir, lors du match contre Laval il nous a semblé que, avec des moyens et un esprit sans doute différents, les joueurs d'Angers-SCO bénéficiaient aux yeux des gamins à peu près du même crédit que celui accordé autrefois à ceux du SCO d'Angers.

Puisse la saison à venir faire rêver les gosses à nouveau. Ce serait, après la remontée, un second cadeau offert aux plus jeunes. Et qu'on ne nous dise pas que ce cadeau-là n'a aucune importance...

B. BLANCHET


A la place actuelle de la butte, les gamins prenaient plaisir à régner en maîtres sur le tableau d'affichage.

Merci à cris72 pour le scan.